Sorociné

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PLUS QUE JAMAIS - Emily Atef

Le choix des mourants

Hélène et Matthieu s’aiment. Hélène reçoit une nouvelle impensable, elle est atteinte d’une rare maladie pulmonaire : elle souffre d’une fibrose pulmonaire idiopathique. Dès lors leur vie commune bascule et Hélène se retrouve face au choix de sa vie, faire ou pas la greffe qui pourrait éventuellement la sauver. C’est ce postulat simple mais grave que nous propose la réalisatrice Emily Atef, après son précèdent film Trois jours à Quiberon (2018) dans lequel elle suivait l’interview fleuve de la comédienne Romy Schneider.

Atef fait un choix rare en décidant de ne pas réparer les vivants mais plutôt d’honorer l’existence des mourants. Hélène, poussée par une impérieuse vitalité décide elle-même de vivre ses derniers mois, et de choisir la mort, pas comme une fatalité mais bien comme une étape de la vie. Solaire, Atef lui offre l’écrin parfait, les paysages reculés et millénaires de la Norvège, comme figés dans l’éternité. C’est ici qu’Hélène fera son choix, aidé de l’excentrique et sarcastique Mister, son hôte norvégien et survivant d’une tragédie. On suit Hélène au plus près, tant la caméra décide d’épouser la forme de ses gestes, les flottements et les sursauts de son corps tout entier, de la plus grande inspiration au souffle le plus court. Dans un premier temps anxiogène, car littéralement encerclé par l’asphyxie de la ville et de l’appartement marital, la réalisation éclot au rythme du corps d’Hélène en seconde partie, lors de son arrivée en Norvège. Cette nouvelle respiration permets une série d’instants suspendus entre rivière et montagne, rendant Hélène et son corps, cotonneux presque léger – pour souvent douloureusement s’écraser le plan d’après, comme brutalement trop ramené à la gravité du monde, à la réalité.

Vicky Krieps, lumineuse – toujours merveilleuse et malicieuse depuis sa révélation dans Phantom Thread (2017) – excelle dans ce portrait intimiste et exigeant. Elle déploie tout son corps dans un élan déterminé et pudique, portant tout le film sur ses épaules. Il est difficile de ne pas évoquer l’autre astre de ce récit sans ressentir un pincement au cœur. Gaspard Ulliel, récemment décédé en début d’année, offre une de ses dernières interprétations au cinéma dans le rôle de Matthieu. Peu présent physiquement sur l’ensemble du film, il arrive avec une grâce délicate à imprimer durablement l’écran. Il est le mari aimant, l’amant passionné et le compagnon meurtri qu’Hélène décide de laisser derrière elle. L’alchimie du couple Krieps/Ulliel fonctionne d’ailleurs à merveille, surtout dans les derniers sursauts du film où Hélène et Matthieu se font des adieux bouleversants, se quittant d’un comme un accord déchirant, lors d’une scène de ferry indélébile. Cette scène devient malgré elle, un adieu à double sens. L’adieu d’un couple en fin de vie commune et l’adieu ultime d’un acteur face à nous, spectateur.rice.s incrédules ; un dernier sourire, un dernier souvenir et une dernière plongée dans le regard azur énigmatique d’un comédien exigeant.