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PRAYERS FOR THE STOLEN - Tatiana Huezo

La guerre civile à hauteur d’enfant

Passée par le documentaire, Tatiana Huezo ressent les affres de la guerre jusque dans sa chair. Enfant, elle a dû quitter son village du Salvador pour la fuir, un traumatisme qu’elle a documenté dans El lugar mas pequeno (2011). Elle a aussi enquêté sur le trafic d’êtres humains au Mexique, et mis en scène sa démarche avec Tempestad  (2016). D’un naturalisme implacable, Prayers for the Stolen pourrait être considéré comme une synthèse des travaux précédents de la réalisatrice, racontée et durement éprouvée par une petite fille.

Le film nous met dans la peau d’Ana. Elle vit dans les montagnes du Guerrero au Mexique, où la guerre fait rage entre les cartels et les forces armées, et a grandi dans des rues jalonnées de tanks, où il n’est pas rare qu’un coup de feu fende l’air. Sa mère peine à joindre les deux bouts, son père a déserté. Des fois, une de ses camarades s’évapore sans laisser de traces, probablement arrachée à sa famille par des trafiquants. Peu bavarde, elle préfère regarder. Ses yeux noirs et pénétrants s’immiscent là où les adultes voudraient la tenir à l’écart, posent les questions qui dérangent. Pourquoi la guerre ? Semble-t-elle dire sans paroles. Son regard nouveau remet en question l’ordre préétabli, corrosif jusqu’à l’os. 

Pour autant, Ana est loin d’être naïve. L’innocence est un luxe que les femmes de sa région ne peuvent pas se permettre. Les enjeux de la guerre civile sont différents pour elles, et ce sont ces variations qui intéressent Tatiana Huezo. Alors que le titre original de son premier long-métrage, Noche de fuego, évoque l’embrasement du territoire livré à lui-même, son titre étranger, Prayers of the stolen, replace ses personnages au cœur de l’action. Les volées, ce sont elles, ces jeunes femmes qui doivent faire le deuil d’une vie normale et sécure.

Prayers for the stolen est un film traversé par l’absence. Les maisons abandonnées, la disparition des petites filles, la montagne dynamitée par des ouvriers pour bâtir une nouvelle route… Ana et ses amies grandissent dans une région sclérosée où le silence se fait trop lourd, et la survie, laborieuse. Au tout début du film, les petites filles s’amusent même à faire les mortes en creusant des tombes dans la forêt, un jeu d’enfant grinçant qui sert à illustrer l’absence de perspectives que leur offre la région. Tatiana Huezo épouse cette passivité jusqu’à l’ériger comme pièce-maîtresse de son métrage. Ponctué de coupes abruptes, il reste étonnement discret sur les événements qui chamboulent la vie de la communauté, et ne représente souvent que leurs après-coup, comme si ses protagonistes n’étaient condamnés qu’à les subir.