PREMIÈRE AFFAIRE - Victoria Musiedlak
Femme de droit
Victoria Musiedlak filme les premiers pas d’une jeune avocate avec une délicatesse qui verse parfois dans la timidité. Restent une photographie magnifique et le portrait sombre de la façon dont se construisent les jeunes femmes dans une société qui ne leur fait jamais de cadeaux.
Lorsqu’elle est appelée pour assister son premier client en garde à vue, Nora ne s’y attend pas. La jeune avocate ne l’a jamais fait, c’est à Arras et non à Paris, et son patron ne sait visiblement pas de quoi il retourne. Au commissariat, Nora se retrouve face à un adulescent mal dégrossi qui ne décroche pas un mot, avant de comprendre qu’il est là pour enlèvement et séquestration. Puis pour homicide volontaire lorsque le corps d’une jeune fille défigurée est retrouvé. Persuadée de son innocence, la jeune femme se dévoue corps et âme à sa défense, délaissant les dossiers de droit des affaires dont elle a habituellement la charge.
La réalisatrice Victoria Musiedlak a la bonne idée de ne pas verser dans le polar, préférant à l’enquête elle-même le parcours initiatique de son héroïne. Nora, petite oisillonne pas encore tombée du nid (elle habite toujours chez ses parents), qui appelle sa mère tous les jours ou presque, doit apprendre rapidement à jouer dans la cour des grands sur tous les tableaux. Professionnel, bien sûr, avec ce dossier délicat, et personnel, aussi, lorsque le policier chargé des investigations l’appelle pour la revoir sans aucune intention de parler de l’accusé. Noée Abita prête son physique fragile mais intense et ses grands yeux parfois perdus à cette avocate perpétuellement en décalage par rapport au reste du monde, surtout celui dans lequel elle est censée trouver ses marques.
Là où Première Affaire perd en intensité, c’est dans le quasi systématisme de ce parcours. Nora est, au départ du moins, d’une candeur à faire frémir toute personne ayant une idée un tant soit peu précise du métier d’avocat. Son acharnement à croire qu’elle ne défendra que des innocents est d’ailleurs difficilement crédible. De revers en désillusions, la trajectoire de la novice qui se blinde apparaît cousue de fil blanc. Mais Victoria Musiedlak parvient aussi, en creux, à parler d’un destin plus universel. Celui de toutes les jeunes femmes forcées de se construire dans une société qui les met perpétuellement à l’épreuve, les violente plus ou moins sauvagement mais les violente toujours quand même, et les force à s’adapter vite si elles veulent s’en sortir.
Le film est également servi par sa direction de la photographie. Martin Rit propulse le film dans une ambiance froide et bleutée souvent magnifique, qui n’est pas sans rappeler le cinéma scandinave. La Scandinavie est d’ailleurs ce qui arrive de mieux à Première affaire, avec la présence à l’écran d’Anders Danielsen Lie, acteur norvégien cher à Joachim Trier, capable de tirer n’importe quel long métrage des limbes grâce à son magnétisme jamais forcé. Si Nora est une allégorie des femmes qui se construisent difficilement, son personnage de policier ambigu pourrait être son pendant masculin. Loin d’être affreux mais pas franchement sympa, ces hommes banals les observent se débattre avec un intérêt amusé sans réaliser qu’ils font aussi partie des obstacles à franchir. Et s’étonnent, avec une pointe d’amertume, qu’elles réussissent parfois.
MARGAUX BARALON