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PRISCILLA - Sofia Coppola

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Priscilla in Wonderland

Pour son huitième long-métrage, Sofia Coppola revient à l’essence de son cinéma : le portrait intime de jeune femme. Elle s’attaque à la vie de Priscilla Beaulieu Presley période mariage avec Elvis et propose un film pictural et figé, à la partition monotone.

Dès le premier plan, le ton est donné. On découvre les pieds vernis de rose de Priscilla Presley sur une moquette rose, celle-ci appliquant ses faux cils sur-mesure devant le miroir. Le tout dans un décor années soixante surchargé. Fondu puis titre : Sofia Coppola nous immerge dans le monde intime de Priscilla. Le film évolue comme un conte initiatique cruel bordé d’effluves mélancoliques et nimbé d’une image cotonneuse, auquel le cinéma de Coppola nous a habitués depuis ses débuts avec l’empoisonné Virgin Suicides. On découvre Priscilla Beaulieu adolescente, trompant son ennui de fille de militaire surprotégée dans les diners et dans sa chambre, entre milk-shake, lycée et journaux intimes. La rencontre avec Elvis et le monde des adultes la sort de sa torpeur : elle pense avoir enfin trouvé la porte de sortie qui fera démarrer sa vie. Seulement, elle troquera une cage pour une autre, plus dorée. Elvis courtise Priscilla, l’installe à Graceland et finit par l’épouser, faisant fi des commentaires de leurs entourages respectifs et de la société américaine de l’époque sur leur grand écart d'âge - quand ils se rencontrent elle à 14 ans et lui 24. Coppola se met à hauteur de Priscilla pour filmer cette « histoire d’amour » tumultueuse vécu par une adolescente ; mais surtout, elle déconstruit l’icône Priscilla Presley, épouse adolescente muette d’Elvis qui fut l’objet de fantasmes d’une époque et d’une certaine presse.

La période Graceland — qui durera dix ans — intéresse particulièrement Coppola et elle y pose longuement sa caméra. C’est dans cette propriété démesurée totalement coupée du monde, avec sa bâtisse au style néo-colonial, qu’Elvis installe Priscilla et son entourage proche. C’est entre ces colonnes et ces sols ouatés qu’elle évolue en huis clos. Coppola retraverse une fois de plus la thématique de l’enfermement des femmes qui peuple toute sa filmographie. Elle filme l’emprise d’Elvis sur Priscilla, la manière dont il l’a fabriquée et l’a façonnée. Il en a fait une sage et gentille femme, une épouse et une mère docile sans parole : la femme de ses rêves. C’est lui qui décide quand et comment elle accède à la sexualité, c’est lui qui l’initie à tout et gère son image. Priscilla Presley est un énième accessoire qui pare la figure qu’est Elvis Presley. Elle est une autre victime du système Elvis, un système structuré qui mène son entourage à la baguette, le tenant par le pouvoir, l’argent, le désir et la célébrité. Coppola propose une autre face du King que celle qu’avait livrée Baz Luhrmann en 2022 dans son biopic éponyme, où Presley était lui aussi victime de l’emprise de son manager et de son père.

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Le résultat n’est cependant pas très probant et le film se tient mal. Il souffre d’un montage de séquences trop répétitives et d’un étirement narratif assez disgracieux. Les scènes de vie du couple – bonheur idyllique comme jalousie brutale – semblent tout droit sorties d’un mauvais soap-opera. Mais Cailee Spaeny et Jacob Elordi font des miracles d’interprétation avec cette partition pauvre, et le véritable accomplissement du film, c’est bien son atmosphère. Coppola comprend bien cet inconfort, et son cinéma très pictural fait des merveilles pour décrire l’attente, l’ennui et le tombeau qu’est Graceland, figée dans le formol en l'absence de son propriétaire. Elle retranscrit l’étouffement ressenti par Priscilla, jamais vraiment chez elle dans ce musée à la gloire d’un homme, où elle n’a rien choisi, où elle est une pièce rapportée, comme une sculpture de porcelaine en vitrine. 

Avec Priscilla, Sofia Coppola redonne une voix à cette jeune femme qu’on a trop peu entendu avant la sortie de son mémoire : Elvis & Moi (1985), qui est d’ailleurs le matériau de départ d’écriture du film. Le dernier quart d’heure nous offre une Priscilla plus adulte, jeune mère des seventies, fraîchement divorcée et émancipée au volant de sa décapotable, les cheveux au vent. C’est la fin du mariage avec Elvis, la rupture avec l’enfance aux faux airs de contes de fées. L’oiseau a quitté la cage dorée. Priscilla choisit enfin pour et par elle-même. L’émancipation a le goût du cool californien nonchalant, le long des palmiers, sur un air de Dolly Parton.

LISA DURAND