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QUITTER LA NUIT - Delphine Girard

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« Je te crois »

Premier long-métrage de Delphine Girard, Quitter la nuit se présente comme le prolongement de son court-métrage, Une sœur. La réalisatrice reprend les trois mêmes personnages pour exposer les conséquences d’un acte de violence sexuelle, épousant les points de vue de l’agressé, de l’agresseur et d’une policière. Une méticuleuse étude humaine rappelant la difficulté pour les victimes d’être entendues et crues.

Une voiture, la nuit. La caméra embarquée à l’arrière dissimule les visages de l’homme et de la femme. La passagère appelle sa sœur pour prendre des nouvelles de sa fille. Dans un centre d’appels d’urgence de police, Anna (Veerle Baetens) répond. Pendant quinze minutes sous tension constante, Aly fait comprendre qu’elle est en danger avec l’homme à ses côtés. La voiture est finalement localisée et l’agresseur, arrêté. Victime de viol, Aly (Selma Alaoui) porte plainte contre lui. De cette ouverture issue du court-métrage Une sœur de la réalisatrice (nommé à l’Oscar du meilleur court-métrage en prises de vues réelles), Quitter la nuit va se déployer dans l’après-crime et ce temps long qui fait suite au dépôt d’une plainte et l’attente du procès. Le film va dès lors répondre à l’injonction du titre : comment quitter cette nuit ? Comment avancer et se reconstruire ?

Par un montage proche du film choral ponctué de flashbacks reconstituant la réalité des faits, Delphine Girard décortique le quotidien et les psychologies des trois personnages, les enfermant dans des cadres très serrés. Quasi étude comportementale, le film montre toute la complexité à croire la parole des victimes. Aly, mère de famille séparée, essaie de reprendre le cours de sa vie sans se complaire dans le rôle de victime que l’on attend d’elle. À l’inverse, avec Dary (Guillaume Duhesme), la cinéaste nous fait le portrait d’un homme ordinaire, pompier et fils aimant, qui n’a rien de l’image du « monstre ». Il vit dans le déni de ce qu’il a commis, du « non » qu’il n’a pas su entendre, et se ment à lui-même. Le personnage d’Anna vient se glisser entre les deux comme pour mieux faire entrer le·a spectateur·ice dans le processus sans rester dans une binarité des points de vue. Elle est obsédée par ce qu’il s’est passé et essaie de se rapprocher d’Aly comme pour lui dire : « Je te crois, je suis avec toi ».

Comme un quatrième personnage dissimulé, les institutions policières et judiciaires dépassées sont montrées dans toute leur impuissance à comprendre les victimes, suivant cette idée que sans preuves et alcoolisés, on glisse dans une zone où ça ne peut être que parole contre parole. Le cinéma, lui, ne juge pas, il observe, déconstruit avec humanité et empathie les mécanismes et s’empare de ces histoires pour amener une réflexion commune sur les violences sexistes et sexuelles. Au bout de la nuit, il y a forcément de la lumière, ici, elle s’appelle sororité. 

DIANE LESTAGE