RENCONTRE AVEC FLORENCIA DI CONCILIO - Les Cinq Diables
Florencia Di Concilio est l’une des compositrices les plus généreuses et les plus créatives de sa génération. Après avoir été acclamé par la presse internationale qui a notamment remarqué son travail sur des films comme Stranded de Gonzalo Arijon et Kenneth Turan ou encore Dark Blood de George Sluizer, la compositrice Uruguayenn est au générique de deux films présentés à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes : Les Années Super 8 de Annie et David Ernaux ainsi que Les Cinq Diables de Léa Mysius. Rencontre.
Comment vous êtes-vous tourné vers la composition de musiques de films ?
Florencia Di Concilio : C’est une question que je me pose tous les jours… Je viens d’une famille de musiciens et même si plus jeune je me suis très souvent dit que j’avais envie de faire quelque chose d’autre, comme l’architecture par exemple, il me semblait finalement assez cohérent que je devienne musicienne. Je voulais créer. J’étais pianiste mais en même compositrice, et puisqu’on en parle actuellement, une grande cinéphile. Même en laissant le cinéma de côté je ne pouvais entendre la musique sans voir des images. Quand le moment est venu d’arrêter le piano classique car je ne m’y retrouvais plus, j’ai changé de pays. Je suis passée des États-Unis à la France. Finalement ce n’est qu’en France que j’ai commencé la musique de films. Tout de suite après mon arrivée. Je n’ai pas le souvenir d’avoir formulé ou souhaité exercer ce métier mais c’est venu de manière assez fluide notamment via mes différentes passions.
Comment la rencontre s’est faite avec Alain Monne ? L’homme de chevet est le premier film sur lequel vous êtes crédité.
F D.C : C’était un hasard complet ! Je venais littéralement d’arriver en France. Je ne connaissais personne et je n’avais même pas d’appartement. Mon père avait un ami d’enfance qui habitait à Paris. Quand je suis arrivée chez cet ami, à l’entrée de son immeuble il a lui-même croisé un ancien ami qui n’avait pas vu depuis des années. Cet ami était réalisateur et il lui dit « j’ai un film en post-prod ». Je ne savais même que ce que c’était la « post-prod » mais comme je venais d’arriver j’ai été porté par un élan et je lui ai proposé de faire la musique de son film. Il a accepté.
Nous sommes au 75ème Festival de Cannes où vous êtes au générique de deux films présentés à la Quinzaine des Réalisateurs : Les Années Super 8 de Annie et David Ernaux ainsi que Les Cinq Diables de Léa Mysius.
Comment la rencontre s’est faite sur ces deux projets ?
F D. C : J’avais déjà travaillé avec Léa sur son premier long-métrage, Ava. À l’époque on s’est rencontré via un ami qui m’avait mis en relation avec elle. On s’est très rapidement compris. Elle avait envie d’une musique avec des cordes et elle avait particulièrement besoin d’une personne capable de manipuler ces cordes d’une manière peu conventionnelle c’est-à-dire avec beaucoup d’effets. Je pense qu’on a un sens esthétique très compatible.
Lorsque le film Ava de Léa Mysius est sorti, votre musique a très vite été remarqué par les médias internationaux…
F D. C : J’ai très vite été gâtée par la presse. Au début je pensais que c’était normal et que c’était pareil pour tout le monde. Je ne m’en rendais pas compte surtout que je faisais beaucoup de films documentaires et ce n’est pas forcément pour ce « type » de films que dans les articles de grands journaux on passe un paragraphe entier à écrire sur la musique. Mais très rapidement certains titres m’ont fait l’honneur de remarquer ma musique. Je pense notamment au Los Angeles Times qui avait fait un très beau papier sur la musique dans le film Stranded de Gonzalo Arijon et Kenneth Turande qui avait eu un très beau parcouru en festival (en passant notamment par Sundance). À ce moment là je n’avais même pas pris le temps de me renseigner sur comment ça se passait pour la musique de films au niveau de la presse. Évidemment j’étais ravie mais je ne me rendais pas compte que c’était assez rare d’avoir cette lumière sur le travail de la bande-originale.
La musique de films a une place très particulière. On en parle pas forcément tout le temps mais ces dernières années il y a une véritable valorisation des compositrices et compositeurs. Est-ce que c’est quelque chose que vous remarquez ?
F D. C : Absolument ! Maintenant il y a beaucoup de dispositifs et de manières d’accéder à la musique de films. Il y a quelques années encore c’était très fermé y compris pour des personnes qui avaient envie d’en faire leur métier. Il y a beaucoup plus de compositrices et compositeurs mais aussi beaucoup plus de personnes qui exercent des métiers dans la périphérie de la musique de films et elles sont essentielles. Je pense notamment aux superviseurs musicaux ou bien même aux agents. Il y a une dizaine d’années ça n’existait pas ou très peu. C’était assez flou pour tout le monde y compris pour les producteurs et les réalisateurs. Maintenant c’est monnaie courante surtout si les budgets le permet.
Revenons sur les deux films… Ce sont deux propositions très différentes. Comment se passe votre processus de travail ? Quelle composition réalisez-vous avec les cinéastes ?
F D. C : Je ne fais pas de distinctions entre la composition pour un film documentaire ou un film de fiction. C’est l’échange avec les cinéastes qui me guide. Pour Les Années Super 8 c’est la voix d’Annie Ernaux qui m’a guidé. Elle a cette voix presque fantastique donc mon état d’âme était un peu similaire. Les deux processus de création se sont passés bien différemment. C’était vraiment un challenge car il fallait tisser la musique avec sa voix. Il y avait un paradoxe entre la voix frêle d’Annie Ernaux et le poids de ses mots. La musique devait naviguer. Elle fallait qu’elle fasse partie du récit. La musique est plutôt impressionniste. Elle vient colorer le timbre de la voix.
Pour le film de Léa on avait déjà travaillé ensemble donc je savais comment ça allait se dérouler. J’ai vu tous les rushs. J’avais lu le scénario avant le tournage donc je savais ce qu’elle voulait donner comme notes, comme couleurs et la composition fut crée au fur et à mesure.
Pour Les Années Super 8 comme c’est un film construit avec les archives le processus était de ce fait différent puisque les images étaient tournées depuis des années. Quand je suis arrivée le montage du film était presque terminé.
Le point commun entre les deux films au niveau de mon travail c’est que les désirs étaient plutôt en cohérence. J’ai eu une très grande liberté. J’ai pu, avec ma propre sensibilité, m’inspirer de ces deux récits.
Vous lisez donc toujours le scénario avant ?
F D. C : De plus en plus oui parce que je commence à avoir une certaine carrière et les gens m’appellent un peu plus en amont sur leurs projets. Dans ce genre de cas je peux donc lire le scénario. Mais globalement j’arrive en fin de processus lorsque le film est déjà tourné.
Est-ce que ça vous est déjà arrivé, lorsque vous commencez à travailler sur scénario, d’être surprise du résultat final ?
F D. C : Non. Quand un·e cinéaste est capable, parce qu’il y a une entente commune, de me faire entrer dans son univers il y a rarement de mauvaise surprise. C’est le cas par exemple sur mon dernier projet, De Grandes espérances de Sylvain Desclous. Il m’en avait parlé avant le tournage et j’ai vu le film. Ça ressemble exactement à ce que j’avais en tête même si j’ai été surprise, dans le bon sens du terme, car ça rendait encore mieux que dans mon imagination !
C’est de ce fait un vrai travail de communication et d’échanges constants ?
F D. C : Il y a une raison pour laquelle je fais ce métier là c’est pour la communication. Avant j’étais enfermé toute la journée, seule, avec mon piano. Là je fais comme de la musique de chambre mais avec quelqu’un d’autre. C’est magique quand on arrive à créer à deux.
Est-ce qu’il y a des cinéastes avec lesquelles vous avez envie de collaborer ?
F D. C : Beaucoup mais ce que j’aime c’est découvrir des cinéastes. Il y a quelque chose de fantastique quand je travaille sur le premier long-métrage d’un·e cinéaste. J’ai vraiment l’impression de créer quelque chose de totalement nouveau quand ça arrive. C’est ce qui m’enthousiaste le plus.
F D. C : J’ai eu la chance de travailler avec des grand·es cinéastes de documentaires et je pense que j’ai beaucoup appris à leurs côtés. La plupart ne se pose pas le question et ne font pas la différence entre documentaire ou fiction par exemple. On va souvent nous mettre en garde pour qu’on ne manipule pas les émotions via la musique lorsqu’on travaille sur un documentaire mais finalement on est en train de le faire parce que le film a un montage. On a tendance à confondre le documentaire et le reportage. Ça crée une confusion chez le public. Un film de documentaire est un film à part entière. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire de bons reportages mais ce n’est pas la même nature.
Quand j’ai travaillé sur le film Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary de Rémi Chayé, on m’a demandé comment je compose une musique pour un film d’animation. En réalité je ne fais pas la différence. Un film c’est un film. Chaque cinéaste a sa vision. J’aime beaucoup poser cette question en début de processus : « pourquoi tu veux une musique originale ? » et les réponses sont toujours différentes selon les cinéastes.
Quelles sont vos envies pour la suite ?
F D. C : Là j’ai hâte de rentrer et de me poser devant mon piano. J’ai besoin de me poser les questions, les bonnes, car j’ai peur de ne plus apprendre. Je ne veux pas me reposer sur ce que j’ai fait. Je dois constamment me réinventer même si je ne peux pas changer qui je suis.
Retrouvez notre couverture complète de la 75ème édition du Festival de Cannes
Merci à Garance Desmichelle