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RACHEL BLOOM - De l’ombre au soleil

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Alerte : l’une des meilleures séries féministes de l’histoire quitte le catalogue Netflix à la fin du mois de septembre : Crazy Ex-Girlfriend. Derrière cette petite bombe en quatre saisons, qui fêtera ses dix ans l’an prochain, se trouve l’actrice Rachel Bloom. Portrait de la cocréatrice de la série musicale qui fut une des premières à briser à l’écran les tabous autour de la santé mentale.

Cet article est paru dans le n°2 de la revue SOROCINE (printemps 2022).

Connaissez-vous West Covina ? Ville périphérique située à quelques kilomètres de Los Angeles, le soleil y brille toute l’année. Le calme règne. C’est simple : « Là-bas, c’est comme si tout le monde était heureux… » C’est du moins ainsi que Josh Chan décrit sa Californie natale à son ex-petite amie Rebecca Bunch, brillante avocate new-yorkaise à deux doigts du burn-out croisée au hasard d’une rue de la Grosse Pomme. « Heureux »... le mot résonne dans le corps rempli de Xanax de la jeune femme. Ni une, ni deux, la voilà partie vers ce lieu « où les rêves prennent vie », avec l’objectif de reconquérir cet ex tombé du ciel, clé d’un bonheur depuis longtemps perdu selon elle. Le décor de la série Crazy Ex-Girlfriend est planté. Il sera aussi ensoleillé que la santé mentale de l’héroïne va vaciller épisode après épisode. Car sous ses faux airs de comédie romantique ovniesque (Crazy Ex-Girlfriend est aussi une comédie musicale avec deux numéros chantés par épisode), la série explore les territoires sinueux des troubles psychologiques. La créatrice de la série, Rachel Bloom, qui interprète aussi l’héroïne, déconstruit la quête irrationnelle du bonheur et propose une série d’apprentissage brisant les tabous sur la santé mentale. Derrière leur sérénité de façade, les habitants de l’aseptisé West Covina cachent tous des troubles divers explorés tout au long des quatre saisons du show : dépression, anxiété sociale, obsession, narcissisme, haine de soi, dépendance… Le personnage de Rebecca, diagnostiqué personnalité borderline au cours de la série, catalyse nombre de ces troubles.

Une série donc bien plus engagée que son pitch (et son titre) ne le laisse à penser, avec une  thématique rarement explorée sur les écrans avec autant de justesse et d’humour (pour en savoir plus, on vous renvoie à l’épisode du podcast SOROCINE dédié à ce sujet). Cette histoire, Rachel Bloom l’a écrite à son image. Son West Covina à elle s’appelle Manhattan Beach, petite cité balnéaire tout aussi proche de Los Angeles où elle grandit dans les années 1990 au sein d’une famille juive. Une enfance et une adolescence à quelques pas de la plage mais vécues en marge. Elle est harcelée toute sa scolarité, et on lui diagnostique dès l’âge de 12 ans des troubles obsessionnels compulsifs. Le théâtre lui permet d’échapper à ses angoisses. « Du collège à l’université, je jouais, je chantais, j’écrivais… Tant que je me concentrais sur mon art, je n’avais plus d’espace mental disponible pour être anxieuse. J’ai appris que tant que j’occupais mon esprit, tout allait bien ¹». Cette passion, Rachel Bloom l’exporte à New York où elle part étudier l’art dramatique et fait ses armes dans des troupes d’improvisation. Mais le succès peine à venir. Comme nombre de créatrices de sa génération qui ne trouvent pas de rôles à la mesure de leur créativité et de leurs aspirations féministes, Rachel Bloom prendra son destin en main en s’autoproduisant… sur YouTube !

Chansons thérapeutiques

Après une série de petits succès sur la plateforme où elle publie des clips musicaux humoristiques (sa chanson Fuck me, Ray Bradbury, narrant explicitement son fantasme adolescent pour l’auteur de science-fiction, est devenue virale aux États-Unis en 2010), et ses premiers pas en tant que scénariste sur la série d’animation Robot Chicken, la comédienne est contactée en 2013 par Aline Brosh Mckenna, la scénariste du Diable s’habille en Prada et de Morning Glory. Sa proposition : adapter en série ses vidéos musicales décalées. Les deux femmes développent ensemble Crazy Ex-Girlfriend, dans laquelle Bloom injecte sa propre lutte face aux maladies mentales. Elle révélera que ses démons ne l’ont jamais définitivement quittée, transposant son héroïne dans cette Californie illusoire qu’elle connaît si bien, et obtenant un contraste saisissant entre le lieu de l’action et l’état mental des personnages.


Une série musicale pensée dès le départ en quatre actes (obsession, déni, dépression, guérison), qui, en plus de parler de santé psychologique, souhaite aussi briser les tabous autour de la sexualité féminine… Le tout porté par une youtubeuse quasi inconnue. Il y avait de quoi faire peur aux chaînes américaines. Face au pilote, commandé initialement par Showtime, les refus tombent les uns après les autres. C’est finalement la network CW, déjà diffuseuse de la romcom déconstruite Jane The Virgin, qui va sauver le projet. Si certaines chansons explicites sont édulcorées (gros mots bippés, censure d’une chanson évoquant les règles), Rachel Bloom a carte blanche. La critique applaudit la prise de risque et la performance de l’actrice qui remporte en 2016 le Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie. Un prix qui, selon Bloom, a probablement sauvé la série, dont les audiences étaient relativement confidentielles. Le bouche-à-oreille a depuis fait son effet autour d’une œuvre aux vertus thérapeutiques pour certaines personnes qui voient en Rachel Bloom, et son personnage de Rebecca Bunch, une alliée. « Je me suis rendu compte que les chansons qui m’étaient le plus personnelles, celles que j’avais eu le plus peur d’écrire, étaient en fait celles avec lesquelles le public était le plus connecté. À ce moment-là, je me suis dit, oh mon Dieu, je ne suis pas seule ! ²». West Covina est un symbole fort du sens que donne la showrunneuse à son œuvre, à laquelle deux des chansons les plus fortes du show sont directement dédiées : une sur l’obsession de trouver dans la ville un eldorado (West Covina - 1X01), l’autre où elle est décrite, à l’inverse, tels des limbes où le soleil brûle les ambitions (What’ll it be (Hey West Covina) - 1X06). Après quelques années de pause suite à la fin de Crazy Ex-Girlfriend en 2019, Rachel Bloom et Aline Brosh Mckenna ont tenté, pour l’heure en vain, de développer une nouvelle comédie sérielle. Mais si ça coince à la TV, son dernier one woman show, forcément musical, Death, let me do my show, a enflammé Broadway en 2023. La série Crazy Ex-Girlfriend, elle, s’est imposée aujourd’hui comme une œuvre de référence sur son sujet. Espérons à présent que sa disparition des plateformes de streaming ne soit que temporaire, pour qu’elle ne soit pas invisibilisée et oubliée comme tant d’autres œuvres avant-gardistes avant elle³. 


ALICIA ARPAÏA


¹ I want to be where the normal people are, Rachel Bloom (2020).

² I want to be where the normal people are, Rachel Bloom (2020). Rachel Bloom évoque ici deux chansons en particulier de la série, « Stupid Bitch », hit d’autoflagellation où elle chante dans un style très Mariah Carey la haine de soi, et « A Diagnosis » sur l’espoir de mettre enfin des mots sur ses troubles. À noter que Bloom et ses coauteurs Adam Schlesinger et Jack Dolgen remporteront un Emmy Award en 2019 pour une chanson sur la banalité… des antidépresseurs !

³ Propriété de la chaîne CW, la série pourrait aux États-Unis rebondir sur la plateforme de la chaîne ou sur Max. En France, pas d’informations au moment de la publication de cet article.