RENCONTRE AVEC LA RÉALISATRICE LIN WANG - Festival de Cannes
“J'avais envie de montrer toutes ces femmes qui peuvent représenter l'héritage de Chichi, ses ancêtres qui la portent et la guident”
Lin Wang - réalisatrice et scénariste
À 32 ans, la réalisatrice et scénariste chinoise Lin Wang présente son premier long-métrage, Vénus sur la rive. En sélection à L'ACID lorsdu 74ème Festival de Cannes, le film dresse le portrait d'une famille à travers les femmes qui la compose via le regard de Chichi, une petite fille de 9 ans. Peinture familiale émouvante, matrimoine et récit initiatique, Vénus sur la rive est un vrai bijou.
À l'occasion de sa présentation à L'ACID, nous avons rencontré sa réalisatrice et scénariste, Lin Wang, sa productrice, Yuin Cheung et sa monteuse, Yumeng Chen.
Vous avez fait un court-métrage, Death in a Dayqui a notamment remporté le prix du meilleur court-métrage lors du San Diego Asian Film Festival en 2016, qu'est-ce qui vous a poussez vers le format long ?
Lin Wang : J'ai été diplômée et j'ai eu envie, avec mon équipe, de faire quelque chose de plus. Notre collaboration sur le court s'est super bien passée et on savait qu'on voulait retravailler toutes ensemble. On a commencé à réfléchir et on s'est dit qu'on pouvait se lancer dans un format plus long. Au départ, on avait parlé d'un nouveau court-métrage. Mais j'avais plusieurs idées et elles ne correspondaient pas à cette longueur. Il fallait qu'on ait plus de temps parce que le volume d'histoires étaient plus important.
Vous saviez, en faisant un court-métrage, que vous aviez envie de passer, par la suite, au long ?
Yuin Cheung : Oui (rires)
L. W : Toi tu le savais mais moi j'avais des doutes. Je savais que j'avais envie de faire des films mais le long n'était pas forcément un but. Quand je suis concentré sur un projet j'ai du mal à me projeter sur la suite. Je fonctionne étape par étape mais je pense que c'est parce que je n'avais encore jamais réalisé de long-métrage. Maintenant que j'en ai fait un, je comprends l'idée de vouloir se projeter et maintenant j'ai super envie de continuer.
Vous êtes un noyau de femmes...
L. W : Il n'y a pas que des femmes dans l'équipe mais toutes les personnes qui sont sur le projet, femmes comme hommes, nous partageons le même engagement émotionnel.
Je vous demande ça parce que le film parle du fait d'être entre femmes...
L. W : C'est vrai que nous sommes majoritairement des femmes et que c'était important pour nous. Je pense que le film et son récit attire les gens qui ont une sensibilité avec laquelle ils sont à l'aise. On a fait des choix sur les personnes avec lesquelles nous avions envie de travailler et ces choix se sont fait à travers les connexions que l'on pouvait avoir avec eux. Nous avons des hommes dans l'équipe mais ils partagent cette émotion, cette sensibilité et c'est primordial.
Vous avez choisi de placer le récit dans les années 90. Pourquoi ?
L. W : Nous avons grandi dans les années 1990. J'ai choisi l'année 1992 parce que c'était une belle année. Les années 90 étaient fructueuses en Chine. Économiquement et socialement, il y a pas mal de choses qui ont bougé. Quand j'en parle aux générations avant la mienne, elles sont toutes unanime sur cette décennie. Elles ont eu beaucoup d'opportunités individuelles et collectives. D'ailleurs, dans le film, les femmes dont je parle sont à la croisée de ces changements.
Je vous demande parce que votre film parle d'héritage à travers les connexions entre les unes et les autres. Les connexions ne sont plus les mêmes en 2021 de par la proximité constante avec les technologies.
L. W : Initialement je ne savais pas que le récit allait se dérouler en 1992. J'étais vraiment attiré par l'esthétique des années 90. J'adorais regarder sur les photos, les couleurs très vives que les femmes portaient. Elles étaient en rouge, rose, vert, de manière très élégante et en ayant une confiance en elles renversante. Aujourd'hui on est davantage habillé avec des couleurs plus neutres, du noir, du beige et du blanc. Ça m'inspire moins.
Ces couleurs résonnaient bien avec l'idée que j'avais, esthétiquement et photographiquement, du film. Ensuite j'ai raccordé ça à ce dont on parlait précédemment... les changements et les mouvements de cette époque. La situation était différente dans ces années là mais finalement le récit pouvait rester le même puisqu'il parle intimement de cette route croisée entre ces femmes qui décident d'aller là où elles veulent aller.
Mais vous avez raison. Il n'y avait pas de téléphones portables ou d'ordinateurs. Ça donne des scènes qui me font rire avec ces gros téléphones. Encore une fois, esthétiquement je trouve ça super intéressant. J'aime ces petits détails.
Vous avez choisi de faire un portrait de famille mais uniquement à travers les femmeset surtout via le regard de que Chichi pose sur elles. Ce regard passe notamment par la mise en scène et le montage. Comment avez-vous travaillé ensemble (réalisatrice/monteuse) ?
L. W : C'était déjà très présent dans le scénario. C'était essentiel pour nous que le portrait se fasse à travers ces yeux là. C'est un regard bienveillant qui observe sans comprendre l'intégralité des enjeux. On a essayé de trouver le bon cadrage pour transmettre ce regard. Le montage était très long. On a énormément discuté avant et après le tournage.
Il y a une scène dans le film où un ouvrier se fait renverser par un camion. Il fallait que le public voit ce que la petite fille verrait même si à ce moment là ce n'est pas son regard mais celui de sa tante. Le regard de cette dernière est plus long que la normale. Cela crée une impression d’irréalité. Le fait que l’ouvrier couvre rapidement le corps de la victime donne une atmosphère plus magique. Les plans que l’on voient dans le film sont les seuls angles que nous voulions. Les plans et le rythme sont fabriqués et dont ils sont montés contribuent à la sensation onirique qui va de pair avec le regard de l’enfant.
On parle de l'enfant, comment avez-vous choisi vos actrices ?
Yuin Cheung : Chichi est la seule et l'unique !
L. W : Effectivement ! Le court-métrage dont on parlait au début [NDLR : Death in a Day ] avait pour rôle principal un petit garçon. J'ai discuté avec sa mère de mon projet de long-métrage et notamment du personnage de Chichi que j'imaginais déjà avec des cheveux courts et avec un look un peu "garçon manqué", elle m'a dit qu'elle connaissait une petite fille qui correspondait parfaitement à ce personnage. Elle m'a présenté à elle. Quand je l'ai vu, j'ai su que c'était elle.
Chichi et sa cousine [ NDLR : dans le film ] sont des actrices non-professionnelles. Pour le reste du casting et notamment la famille, il fallait des femmes qui ressemblaient à Chichi pour rester authentique. Physiquement mais aussi dans leur façon d'être donc on fait une sélection très précise pour rester au plus proche de nos attentes.
Votre réalisation est très précise. Vous prenez le temps de filmer les détails, les regards. Il y a une sororité silencieuse qui se construit à travers ces regards que vous prenez le temps de filmer. Il y a notamment cette superbe scène où Chichi se retrouve sur un barque fleurie posée sur la river.
L. W : Cette scène est un rêve et est filmée comme tel. Pour tout dire c'est la première scène que j'ai eu envie de filmer et celle qui a inspiré le reste du film. J'avais envie de montrer toutes ces femmes qui peuvent représenter l'héritage de Chichi, ses ancêtres qui la portent et la guident.
Est-ce que vous travaillez sur un prochain film ?
L. W : J'ai commencé à écrire un scénario au début de cette année. J'ai envie de continuer ce travail de compréhension et d'empathie. Ce premier film me donne l'impression de comprendre davantage les gens. C'est vers cette direction que je veux aller.
Merci à L'ACID, Fanny Garancheret Alexandra Faussier.