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RENCONTRE AVEC CORALIE LAVERGNE – “Je sens qu’on a envie de comprendre d’où on vient”

Jeune scénariste et réalisatrice, Coralie Lavergne a présenté au festival Côté Court, qui se tenait du 7 au 17 juin, son troisième court-métrage, Aïcha. Inspiré de son histoire familiale, Aïcha raconte l’histoire d’une adolescente d’origine algérienne, Elsa, qui fait la connaissance de son grand-père algérien et confronte sa mère sur la réalité de son arrivée en France et sur son identité. Rencontre avec la réalisatrice, pour parler d’identités multiples et de comment sauter le pas vers la réalisation.


Tu es scénariste et réalisatrice, peux-tu nous raconter ton parcours ?

J’ai commencé à écrire il y a quatre ans. Avant, je faisais complètement autre chose, mais j’avais un amour très fort pour le cinéma, pour le fait de raconter des histoires. Il y a quatre ans, j’ai écrit un scénario de court-métrage que j’ai envoyé au CNC sans vraiment savoir ce que c’était. Le CNC m’a alors financé une résidence d’écriture pour que j’apprenne les bases du scénario. On dit beaucoup de choses du système français, personnellement il m’a fait faire ce métier ; pour moi qui ne venais pas de là, avec un syndrome de manque de légitimité énorme, ça m’a donné des voyants verts, et c’est là que je me suis dit que j’allais écrire. Je m’y suis mise à 100 %, et j’ai adoré ça. 

Une autre chose que j’ai beaucoup faite, et que je conseille à tout le monde, c’est que j’ai envoyé mes scénarios à des festivals. Tous les festivals géniaux ont des sélections de scénarios, et la première année, j’ai travaillé comme une acharnée, parce que j’avais vraiment envie que mes films se fassent. Je les ai envoyés à quasiment tous les festivals qui existaient, cela m’a permis de rencontrer des producteurs. J’avais autoproduit un premier film, pour voir si je pouvais réaliser… Et là, j’étais nulle ! Je n’y connaissais rien, mais j’ai été entourée de super personnes, et après ça je me suis vraiment lancée dans la réalisation de courts-métrages produits. C’est comme ça que j’ai réalisé Frère et Sœur, avec l’accompagnement d’un producteur. Pour Aïcha, c’est aussi un producteur qui m’a accompagnée. 

À côté de ça, j’écris aussi d’autres projets, je suis en train d’écrire un long-métrage et je suis dans une équipe d’écriture de série. Le cinéma que j’aime et que j’ai envie de développer est assez social, et le fait d’être dans des groupes d’écriture me permet de toucher à d’autres choses, de travailler avec des personnes qui ont plus d’expérience que moi. Depuis le début, j’apprends en faisant, et le fait de me dire parfois que je n’ai rien à faire là est encore très présent. Ce sera le cas longtemps, mais je tombe sur des gens super qui accompagnent vraiment mon travail.


Frère et Sœur était donc ton premier court-métrage en tant que réalisatrice ? Comment se sont mis en place la production et le financement du film ?

Mon premier film, c’était Champagne, que j’ai autoproduit en tant que réalisatrice. Frère et Sœur, c’était le premier qui était produit, Aïcha est le deuxième. Pour la production, c’était long ! Du moment où la production est validée jusqu’à ce que le film se fasse, il y a deux ans. Et faire un long-métrage, cela prendrait le même temps ! J’adore le format du court-métrage, je trouve qu’il y a vraiment des sujets qui s’y prêtent. J’avais envoyé Aïcha à des concours de scénarios, il avait été retenu quelques fois, donc il a été lu par des producteurs. Ensuite, il y a eu la rencontre avec Les Films du Clan. Ils avaient déjà lu certains des scénarios que je leur avais envoyés parce que j’adorais leur travail. À partir de là, ça a suivi un cycle de financement. Il faut lutter longtemps pour, parfois, avoir des retours négatifs, il faut s’accrocher !

Pour entrer dans le sujet d'Aïcha, c’est un thème qui t’est personnel ?

Oui, je ne peux pas le nier ! Même a posteriori quand je vois le film, je me dis que la façon dont j’ai dirigé les comédiens me ressemble. Aïcha, ça parle de mon histoire personnelle : ma mère est arrivée en France quand elle avait 14 ans, d’une fratrie de onze enfants. Il y en a neuf qui ont changé de nom, par envie de s’intégrer, je pense que c’était malgré eux. Ils ont eu des trajectoires qu’on a tous observées dans la génération de nos parents, et plein de gens me disent à quel point ce sujet est actuel : il y a eu plus de dix mille demandes de changement de nom officiel sur l’année 2020. C’est très actuel, de se dire que ce n’est pas facile de porter des origines. Je voulais parler de ce sujet, parce que j’observe que notre génération fait le chemin inverse. C’est peut-être utopiste, mais je sens qu’on a envie de comprendre d’où on vient : par exemple, plein de personnes d’origine maghrébine prennent des cours d’arabe. Ma mère ne m’a jamais parlé arabe, alors qu’elle le parlait couramment. Je suis très fière de voir ce mouvement en marche, et j’espère qu’il sera massif.

C’est très actuel, cette idée de quête d’identité qui amène à sauter une génération pour aller chercher du côté de nos grand-parents, et moins de nos parents. Cette thématique m’a beaucoup fait penser à L’Art de perdre d’Alice Zeniter…


Oui, quand j’ai lu ce livre, j’ai eu la sensation de comprendre mes parents, ma mère. Cela m’a bouleversée, parce qu’elle parlait de quelque chose qui ne concernait pas que moi, qu’on était très nombreux à avoir vécu. Et depuis que j’ai écrit Aïcha, je vois à quel point la résonance de cette question est forte.

Copyright Les Films du Clan

Pour parler de la manière dont tu as écrit tes personnages, la figure du grand-père d’Elsa représente une certaine froideur, et incarne l’univers que sa mère a laissé derrière elle. Il n’est pas non plus présent au moment de la réconciliation…

J’ai plutôt essayé de faire l’inverse ! Après, chacun aura sûrement sa propre interprétation, une fois que le film sera diffusé. Mais il y a notamment cette scène où il parle avec Elsa, où j’ai essayé de mettre énormément de douceur et de rédemption chez lui, pour faire comprendre qu’il y a une histoire personnelle derrière chaque trajectoire. La main de Fatma qu’il lui donne, c’est le signe qu’il savait qu’elle existait et qu’il voulait lui offrir quelque chose. J’ai travaillé cette scène plusieurs fois pour beaucoup l’adoucir.

Je pensais plutôt à la première scène de confrontation où il fait comprendre que le nom de la mère n’est pas son vrai nom, et cette révélation a quelque chose d’assez violent…

Et en même temps, ça exprime sa déception : il lui donne un prénom qui est magnifique, et elle ressent le besoin de le changer. La colère qu’il a, je pense qu’elle est légitime. J’ai essayé de créer une relation entre eux deux qui soit belle et forte, mais ça a été délicat, on l’a beaucoup retravaillée.

Toute la colère que ressent Elsa vis-à-vis de sa mère, comment tu l’interprètes ?

J’avais envie qu’elle lui dise : “Ton héritage de la honte, je ne le porterai pas”. La mère d’Elsa a eu une façon de vivre qui était de dissimuler et de cacher, et Elsa refuse de porter cet héritage. C’est une adolescente, elle exprime cela par la colère, mais on voit que c’est une colère liée à de l’amour et à une revendication. Peu importe le nom que lui dirait sa mère, elle voulait juste l’entendre. Dans les phrases qui étaient importantes à garder au moment du montage, il y avait le fait qu’elle répète “Vas-y, je n’ai pas honte”. On a beaucoup pensé à renommer le film, et la négation de la honte était évoquée, parce que c’était quelque chose de très fort quand on a écrit le scénario. J’espère que cela transparaîtra dans le film.

Et tu n’as pas pour projet de développer ce thème sur un format de long-métrage ?

Si, bien sûr, et j’avais envoyé un format long au festival du scénario de Valence. Le sujet portait plus sur la fratrie, avec des personnages qui sont tous très riches et qui portent cette volonté d’intégration. Finalement, je l’ai développé sur une série qui a reçu le grand prix du festival de Valence, j’étais aux anges ! Là, on est en train d’essayer de vendre le projet. Cela va sûrement prendre beaucoup de temps, mais j’adorerais que ça puisse exister.

Tu as donc développé entièrement ce projet de série avant d’avoir un diffuseur ?

Oui, pour les séries, il faut déjà avoir le projet complet, la “bible”, pour essayer de la vendre. À Valence, j’étais accompagnée, on a eu 4-5 jours d’écriture. Pour moi c’était génial, je n’avais pas de formation, et cela m’a complètement formée. Le projet s’appelle Marguerite, Malika, Cherif et leurs frères ; ce titre est très long, il faudrait peut-être que je le change, mais je l’adore ! Parce que tous ces personnages-là existent autant que le personnage principal. Je trouve ça magnifique de voir des fratries entières et la façon dont chacun peut faire des choix différents, à partir d’un même passé et de mêmes expériences.

Propos recueillis par Mariana Agier