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RENCONTRE AVEC JACKIE BUET - Festival du film de femmes de Créteil

« Je rêverais de faire rencontrer Céline Sciamma et Léa Pool » 

Le samedi 12 mai 2018, 82 femmes du cinéma ont monté les marches du Festival de Cannes. Un magnifique moment, fort, puissant mais qui cachait une triste réalité. 82 c’est le nombre de réalisatrices retenues en compétition pour la Palme d'or par le Festival depuis sa première édition en 1946 (contre 1688 hommes). 

La place des réalisatrices, Jackie Buet, co-fondatrice du Festival de Films de Femmes de Créteil en a fait, depuis 43 ans, sa bataille. À l’instar, récemment, de Véronique Le Bris dont le dernier livre 100 grands films de réalisatrices vient de paraître aux éditions Grund, Jackie Buet présente depuis 43 ans avec son équipe, des films de réalisatrices du monde entier. À l’occasion de la 43ème édition du festival qui, exceptionnellement se déroule en ligne cette année, nous avons rencontré celle qui offre au public des perspectives inclusives, fonde un matrimoine essentiel et donne une visibilité bien trop rare aux œuvres réalisées par des femmes. 

Pouvez-vous présenter le Festival ?

Jackie Buet : C’est un festival qui a été créé en 1979 à une période où les réalisatrices étaient moins nombreuses, très peu visibles et pas du tout honorées par les grands festivals tels que Cannes ou encore Venise. Elles l’étaient un peu plus au sein d’autres pays comme par exemple à Berlin où ils ont été assez précurseurs. J’étais, avec Elisabeth Tréhard (la co-fondatrice du festival), responsable d’un équipement culturel à Sceaux (92), Les Gémeaux. Nous étions notamment sur les actions culturelles à savoir, faire rencontrer les artistes et les publics. On s’est interrogées sur la place des femmes dans les arts. Parce qu’on faisait beaucoup d’expositions et de spectacles. On s’est rapidement aperçues que le cinéma manquait. Berlin nous a mis la puce à l’oreille en présentant des réalisatrices allemandes. On connaissait en France, à ce moment là, les grands réalisateurs allemands comme Fassbinder ou Wim Wenders mais on a vite réalisé qu’il y avait des femmes présentes comme Helma Sanders-Brahms, Margarethe von Trotta ou encore Ulrike Ottinger. On s’est dit que c’était étrange qu’elles ne soient pas programmées en France. En lançant des alertes, on a eu des échos. Les réalisatrices attendaient qu’on les invite. On a donc créé le festival et sa première édition en mars 1979. 

Au départ, on pensait faire un festival pendant deux ou trois ans. Histoire de montrer qu’elles existent. On s’est dit « ça va prendre » et on pourra passer à autre chose. En fait…ça fait 43 ans qu’on fait ce travail. C’est très lent pour faire bouger les consciences et la visibilité des œuvres réalisées par des femmes. C’est le cas au cinéma mais c’est aussi le cas partout : dans la peinture, la musique et c’est ça pour tous les arts.

À l’époque, comment vous avez fait pour mesurer le manque de réalisatrices ? 

J.B : On le savait grâce au [Le] Film Français (revue spécialisée dans la dimension économique du cinéma) qui listait tous les films sur l’année. On voyait très bien qu’il n’y avait pas ou très peu de films réalisés par des femmes. Exceptionnellement on pouvait voir Agnès Varda ou une jeune réalisatrice qui ne faisait finalement pas carrière après son premier long-métrage. 

On avait remarqué très vite que celles qui arrivaient à faire un premier film disparaissaient des radars ensuite. Non seulement il y avait une difficulté pour elles de faire un premier film mais en plus elles avaient peu de chance de faire carrière par la suite. C’est monnaie courante. Ce serait d’ailleurs intéressant de faire une liste de celles qui ont démarré puis qui n’ont pas pu continuer. 

Jackie Buet et Catherine Deneuve - 1994

Surtout que c’est un problème qu’on constate encore actuellement…

J.B : Il y a comme une forme d’alibi qui est né… On soutient le premier film d’une réalisatrice et encore ce n’était pas et ça n’a toujours pas évident pour elles de se bagarrer pour avoir un bon budget pour faire un premier film. Puis le deuxième la « mode » était passé, le soutien s’écroulait comme si c’était déjà assez bien qu’elles puissent faire un film. C’est très en pointillé les carrières des réalisatrices. Encore aujourd’hui.

Vous avez reçu du soutien au début ? 

J.B : Oui, on a tout de suite reçu du soutien. Du ministère de la culture et du ministère des droits des femmes, sous la responsabilité, à l’époque, de la ministre Yvette Roudy. On a eu des aides financières, la culture étant relayée, pour le cinéma, par le CNC. On a eu aussi du soutien géographique avec la ville de Sceaux puis de Créteil par la suite. Comme le festival grandissait, nous avions besoin de plus d’espace. Nous sommes donc passé des Gémeaux à la Maison des Arts.

Il y a eu une belle opportunité de développer le festival parce que le terrain était encore relativement vierge. Plus on cherchait des réalisatrices à travers le monde (Chine, Canada, Australie, etc), plus il y en avait. Le nouvel espace nous a aussi permis de développer dans son interne le festival. Nous avons mis en place des rétrospectives à travers l’Histoire du cinéma. Parce que les femmes ont été oubliées voir effacées de cette histoire commune.

« Ce sont elles qui poussent les portes, elles qui montent les marches à Cannes, elles qui parlent »

En 43 ans vous avez, je l’espère, vu une évolution ? Un intérêt plus présent ? 

J.B : Oui. L’évolution est très lente mais elle est présente. L’intérêt est venu aussi du fait que les réalisatrices s’identifiant entre elles, quantifiant leur nombre et leur difficultés se sont davantage manifestées. Ça a créé un lien professionnel et des échanges entre elles. 

D’autres festivals de films de femmes sont nés à l’étranger. Comme par exemple à Séoul ou à Barcelone. On a pu les aider. D’autres sont nés plus indépendamment de nous. Il y a eu un réseau. Les femmes, moins que les hommes, cultivent la notion de réseau. Mais ça, ça a changé. Ce sont elles qui poussent les portes, elles qui montent les marches à Cannes, elles qui parlent. Elles sont déterminées et en ont marre. 

J’ai pu discuter, il y a quelques semaines, avec la compositrice Béatrice Thiriet qui me parlait du besoin de créer, entre femmes, d’un héritage…

J.B : Ça me parait essentiel. Je rêverais de faire rencontrer Céline Sciamma et Léa Pool. Je voulais le faire cette année mais malheureusement la situation sanitaire ne le permettait pas. Nous avons dû nous réinventer en passant le festival sur plateforme ce qui nous a permis de sauver le programme. Les réalisatrices souffrent du manque de regard sur leurs œuvres. Si le public ne voit pas les films, les films restent inconnus donc ils n’existent pas. Je souhaitais vraiment faire ce genre de rencontre. Ce n’est que partie remise…

Vous parlez de la situation sanitaire : l’année dernière le festival a été annulé…

J.B : … le jour de l’ouverture du festival on nous a dit « c’est terminé, vous baissez le rideau ». Nous n’avons pas pu nous retourner. Cette année, en novembre, on s’est dit que ça se présentait mal. Dès janvier on a travaillé sur une édition en ligne. C’est un autre métier que de mettre les films en ligne. On a finalement pu faire des interviews avec les réalisatrices du monde entier par l’intermédiaire des applications comme Zoom. 

Nicole Stéphane dans Les Enfants Terribles de Jean-Pierre Melville -  Melville Productions - Gaumont

Est-ce qu’il n’y a finalement pas un avantage que cette édition soit en ligne ? Habituellement, tout le public ne peut pas se déplacer en région parisienne et surtout les films réalisés par des femmes sont rarement mis à la disposition de tou‧te‧s. Par exemple, le manque de films réalisés par des femmes sur les plateformes est assez flagrant.

J.B : Ça donne beaucoup d’idées d’innovation. Je prends la vie dans sa dimension dynamique et positive. Si je mets en avant la présence en salles, la nécessité de voir les films en salles, d’autant plus que le festival a de vrais partenaires à ce niveau là donc on ne va jamais l’abandonner… En même temps si le bilan de cette année expérimentale est positif et va dans ce sens, nous pouvons mettre en place autre chose. Pas forcément sous forme de festival mais peut-être plus régulièrement dans l’année,  créer un espace où on nous pouvons diffuser les œuvres des réalisatrices, des rencontres virtuelles avec les réalisatrices, etc. Ce qui permettra aussi une accessibilité au plus grand nombre.

D’autant plus que depuis 43 ans j’ai pu constituer des archives. Depuis vingt ans où j’ai fait de nombreuses interviews avec des réalisatrices. Le festival a 450 leçons de cinéma avec des réalisatrices qui expliquent comment elles ont commencé le cinéma, comment elles travaillent, comment elles définissent leur style, etc. 

Surtout que le travail d’archivage est très important, il permet cette dimension d’héritage dont on parlait précédemment…

J.B : Totalement. Les archives du festival sont toutes déposées à l’INA. Toutes les interviews des réalisatrices sont mises avec au moins un de leurs films. Les archives sont consultables à l’Inathèque à la BNF de Paris. Il va y avoir des grandes liaisons avec d’autres bibliothèques notamment celles de Bordeaux et de Toulouse. C’est ce qu’on appelle le matrimoine. Nous faisons aussi ce travail avec le festival : la transmission qui passe aussi par l’éducation à l’image notamment. 

La transmission passe surtout par le public, non ? 

J.B : Depuis les débuts du festival, le public est toujours au rendez-vous. Il y a un véritable engouement et une demande constante. C’est très difficile pour les femmes d’être vues, écoutées, entendues et surtout ça peut régresser…

Un dernier mot sur l’édition 2021 ? 

J.B : J’ai très envie d’attirer l’attention, pour la dernière partie du festival (qui se termine le 11 avril), sur la rétrospective Nicole Stéphane : une actrice devenue réalisatrice. C’est vraiment l’exemple même d’une actrice qui est devenue réalisatrice. D’autres actrices sont passées à la réalisation comme par exemple Aïssa Maïga, notre invitée d’honneur, qui présente son premier long-métrage documentaire, Regard Noir


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