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RETOUR À SÉOUL - Davy Chou

Déracinée

Applaudi à Cannes, Retour à Séoul, sorti en salles au début de l’année, revient sur nos petits écrans en DVD. 

Petit-fils d’un producteur cambodgien, le réalisateur franco-cambodgien Davy Chou a grandi dans l’Hexagone et n’a foulé le sol de son deuxième pays d’origine qu’à l’âge de 25 ans. Côté carrière, il s’était illustré dans le documentaire avant de basculer sur un long-métrage de fiction en 2016, avec Diamond Island. Repéré à la Semaine de la critique en 2016, le film racontait l’histoire de jeunes cambodgiens fascinés par les promesses d’évolution de leur pays. Pour Retour à Séoul, inspiré de la vie de son amie Laure Badlufe, Davy Chou retourne à ses racines françaises mais délocalise son héroïne en Corée du Sud. Héroïne qui est d’ailleurs, tout comme les personnages de Diamond Island, écartelée par les mutations géopolitiques. 

Freddie a 25 ans lorsqu’elle se rend, sur un coup de tête, dans son pays natal. Arrivée bébé en France, confiée à une famille française, elle n’a aucun souvenir de la Corée du Sud ni aucune notion de sla culture, mais se lance en quête de sa famille biologique. Son périple se déroule sur plusieurs années, grâce à des ellipses pas toujours très fines, mais dont l’irrégularité et la brutalité trahissent une volonté de confronter le spectateur. Retour à Séoul est une succession de fragments auxquels on doit s’accrocher pour retracer un parcours de vie, incompris par le personnage lui-même. Freddie oscille sans cesse entre une guest house, les routes de Corée ou les restaurants du centre-ville. Elle n’a pas d’ancrage, jamais de vraie maison. Son seul contact avec la France est fait via de brefs échanges vidéos avec ses parents adoptifs qu’elle évite – quête d’identité oblige. Freddie est littéralement déracinée, sa liberté l’amène au gré du vent, vers de nouveaux amis, vers son père biologique, mais se heurte à des portes fermées lorsqu’elle souhaite rencontrer sa mère. Davy Chou approfondit la quête d’identité de son personnage à travers son parcours géographique, ses morceaux de route et ses déambulations en gros plan dans la vie nocturne de la capitale sud-coréenne. 

Quant à l’actrice phare de l’œuvre, c’est une artiste plasticienne originaire de Corée du Sud, arrivée en France lorsqu’elle était enfant. Même s’il n’y a pas eu adoption dans son cas, il est clair que Davy Chou souhaitait faire un nœud entre la fiction et une certaine réalité : c’est une réussite, puisque Park Ji-min attrape tout de suite le capteur de la caméra et offre une prestation pleine de fougue et de rage. L’ennui, c’est qu’à force d’en faire une héroïne sans attaches, libre et qui se cogne sans cesse à la vie, ne s’excusant jamais d’être quelque part, Freddie n’est pas aimable, au point que l’on se demande parfois si l’on ne regarde pas une version alternative de Mean Girls. Égocentrique et un pied sur chaque continent, elle ne parvient pas à s’entourer, ne sachant pas elle-même qui elle est. Cela peine quand même à justifier son caractère détestable qui devient posture (à l’instar de quelques scènes du film – le moment très gênant avec Louis-Do de Lencquesaing demeure un mystère).

« La Corée n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui », déclare un personnage. Le registre des adoptions consulté par Freddie le confirme : l’histoire du pays a laissé des stigmates sur la jeune femme, abandonnée à une époque où sa famille biologique ne pouvait subvenir à ses besoins. On ressent toujours le désir de Davy Chou de relier une tragédie géopolitique sans la nommer à l’intimité d’un être. Et ça, c’est frappant.