RODÉO - Lola Quivoron
Chevauchée urbaine
Moteurs qui grondent, tâches d’essence fraîches et cascades sans casques sont les bruits, les odeurs et les images qui peuplent le premier long-métrage de la réalisatrice Lola Quivoron. Rodéo, présenté en sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes, est une ode à la liberté et ce n’est pas Julia, l’héroïne principale brillamment incarnée par la révélation Julie Ledru qui dira le contraire. Chevelure au vent, peau nue et maillot de foot sur le dos, la jeune femme d’une vingtaine d’années, passionnée par la moto, tente de faire sa place au milieu de ses homologues masculins. Un groupe de cow-boys qui, entre deux petites combines pour survivre, se retrouve clandestinement au milieu de la route pour faire du cross-bitume et soulever leurs montures en ferraille. Loin d’en faire un récit balisé par les raccourcis, Lola Quivoron, qui co-signe le scénario avec Antonia Buresi (qui incarne également le personnage d’Aurélie) offre un récit tout en nuances et dresse un portrait unique d’une héroïne qui trace sa route sur le dos d’une bécane.
Les moteurs semblent être, à l’image des chevauchées d’un temps révolu, une affaire masculine. La ferraille et l’odeur de l’essence chaude ont remplacées les chevaux sauvages et les selles en cuir mais, au fond, le tableau reste sensiblement le même : des corps plus ou moins imposants, des visages fermés, des mains tâchées par la graisse des roues, épris dans le vent d’une liberté sans limites. La masculinité est alors une histoire de performance et le bitume en devient la scène. Comme pour pousser le vice ils se présentent tous via des surnoms, à l’image des héros masqués. On lève la roue avant d’une moto comme pour assurer une puissance quitte à tenir tête à la mort, non sans une certaine insolence. C’est au milieu de ce vacarme que Julia débarque et s’empare à bras-le-corps et non sans mal, d’un monde qui ne lui a jamais permis de prendre sa place. Notre héroïne n’est pas du genre à attendre et son impatience bouillonne comme son énergie. Elle n’est pas là pour attendre qu’une porte s’ouvre, elle l’ouvre elle-même comme une Calamity Jane des temps modernes. Ironie (probablement conscient) du sort, son surnom à elle c’est " L’inconnue”. Comme pour marquer l’anonymat qui a tant touché ses consoeurs. Mais c’est aussi une manière de marquer sa liberté à elle. Celle de n’être relié à personne car au fond, même si le film fait écho à de nombreuses histoires de femmes, c’est son portrait à elle qui est montré.
Au fond, Julia est une rêveuse et un personnage féminin relativement peu présent sur nos grands écrans. Sa posture est impolie et libératrice. Le scénario évite certains pièges souvent dressés face à ces figures marginales comme le fait de lui éviter une histoire d’amour avec un des personnages masculins. D’ailleurs, c’est plutôt vers l’image d’une romance lesbienne (et libératrice dans tous les sens du terme) que Lola Quivoron porte son regard et, lorsque Julia et Aurélie (une femme enfermée chez elle avec son fils à la demande de son mari emprisonné) partent pour une balade interdite à moto, c’est l’image d’une Thelma & Louise qui nous vient en tête. Quant à la mise en scène du long-métrage, elle est soignée, précise et virevolte par le biais d’une caméra qui semble aussi légère que les corps qui se soulèvent sur les jantes chromées des bétails à moteur.
Avec Rodéo, Lola Quivoron se promet à une grande carrière de cinéaste. Si elle n’évite pas les maladresses de parcours notamment dans sa dernière partie où tout semble un peu trop s’accélérer et, de ce fait, perdre en légèrement en qualité, la révélation d’un regard est là.
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