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SAMBRE - Jean-Xavier de Lestrade

Les humain.es derrière le drame

La dernière série de France Télévisions permet une approche intime de l’affaire policière du « violeur de la Sambre ».

C’est un fait divers qui fait froid dans le dos : pendant trente ans, un homme a agressé sexuellement et violé des femmes tôt le matin. Surnommé « le violeur de la Sambre » en raison du fleuve à proximité duquel il agissait, le père de famille et entraîneur sportif Dino Scala a agi en toute impunité pendant des années. C’est seulement en 2018 que la justice a enfin pu mettre la main dessus, alors que le criminel n’usait pas montre de grandes précautions.

En novembre 2023, France TV a lancé sa minisérie Sambre, librement inspirée de l’affaire. Un matin, Christine est agressée. Personne ne s’en soucie plus que ça. Lorsque d’autres femmes tentent de faire valoir justice, leurs actes de bravoure et leur professionnalisme se retournent contre elles. Les années passent, les crimes continuent, « Enzo Salina » mène une vie d’apparence ordinaire, avant l’arrivée de l’ADN mais surtout une évolution dans la prise en charge des victimes.

Chaque épisode de Sambre se concentre sur un nouveau personnage. Dans le premier épisode, c’est Christine, une jeune maman à laquelle la vie sourit avant le traumatisme. Force est de constater que traiter sobrement pendant une heure les conséquences d’une agression sexuelle est chose rare. Sambre, en soi, ne se distinguerait pas d’autres feuilletons, s’il n’assumait pas pleinement son sujet et ses revendications. Il apporte ce que l’on attendait depuis des années : la représentation du traumatisme. Ni flashbacks ni Vietnam, ni pleurs excessifs, seulement un fardeau insupportable. En parallèle, Sambre suit le personnage d’Enzo dans son quotidien, faisant de lui un homme presque attachant si l’on oubliait son parcours criminel. Salina n’est pas un monstre, ni un tueur, il n’en reste pas moins un criminel. Cette attention portée au bon père, bon collègue, démystifie non pas l’existence du violeur des ruelles sombres mais plutôt son image de bête sauvage, forte et intouchable. Enzo n’est pas un loup-garou, juste un homme qui cache ses actes criminels et les minimalise à outrance.

En observant les mécanismes du quotidien, Sambre met l’accent sur le traitement désastreux des violences faites aux femmes. Les policiers ne prêtent pas suffisamment attention à Christine, personne n’écoute une juge assidue, tous les conseillers municipaux se retournent contre une maire empathique. Il faut attendre le quatrième épisode pour que la machine infernale ralentisse, avec une scientifique obsédée par les détails et la logique. Clémence Poésy interprète avec excellence à la fois une femme ordinaire et un être humain unique et précieux : cette attention prêtée à la construction d’un personnage féminin reste pourtant rare !

Mais le temps est passé, le mal est fait. Enzo Salina a multiplié ses crimes. Le dispositif est plutôt simple : des années passent dans chaque épisode, des visages changent, parfois reviennent, mais mettent toujours l’accent sur l’individu, pour ne jamais minimiser les impacts du sexisme institutionnel. La série rappelle, dans un sens, La Nuit du 12, long-métrage glaçant de Dominik Moll dans lequel, quel que soit l’auteur du féminicide, tout le monde est un peu son complice.

MANON FRANKEN