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SCANDALEUSEMENT VÔTRE - Thea Sharrock

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Langage fleuri au pays d’Agatha Christie

Tiré d’un fait divers, Scandaleusement vôtre retrace la bataille judiciaire et épistolaire qui oppose les voisines Rose Gooding et Edith Swan dans l’Angleterre d’après-guerre. Thea Sharrock livre une comédie dramatique dont le classicisme suranné est sauvé par un casting solide.

Littlehampton, une petite ville côtière sans histoire du Sud de l’Angleterre, est le théâtre d’une affaire pour le moins inhabituelle. Depuis quelques temps, la respectable famille Swan reçoit des lettres injurieuses adressées à leur fille, la pieuse et travailleuse Edith (Olivia Colman). Excédée par le contenu de ces lettres, la famille décide de porter plainte et d’ouvrir une enquête, qui va secouer la petite communauté de cette station balnéaire tranquille, et qui fera les gros titres d’une nation encore hantée par la Grande Guerre. La coupable est rapidement trouvée en la personne de Rose Gooding (Jessie Buckley), une veuve irlandaise à la modernité dérangeante et au langage très fleuri. Nouvelle venue en ville, Rose s’était liée d’amitié avec Edith, avant qu’un malentendu ne les sépare. Faussement accusée, elle se met en quête de justice pour conserver la garde de sa fille, aidée de la première « woman police officer » du Sussex, l’agent Moss (Anjana Suvan).

Scandaleusement vôtre est un film comme seul les britanniques en ont le secret, sorte de feel-good movie rétro à l’humour mordant, servi par la crème des acteur.ices britanniques. Il déroule un programme d’un académisme linéaire qui vaut surtout le coup d’œil pour son duo de comédiennes irrésistibles. C’est la première fois qu’Olivia Colman et Jessie Buckley se donnent la réplique à l’écran. Elles incarnaient le même personnage à différents âges dans le très bon Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal, mais n’avaient jamais eu l’occasion de jouer l’une avec l’autre. L’erreur est réparée et leur franche camaraderie (c’est Colman qui a envoyé le scénario à Buckley) transpire sur les bords de mer de Littlehampton. Colman est brillante en vieille fille bigote retorse et Buckley rayonne en flapper (garçonne des années 1920) injurieuse.

S’il est programmatique dans sa narration et classique dans sa réalisation, le film de Thea Sharrock dépeint avec acuité les enjeux sociaux et moraux de l’Angleterre des années 1920. La perception d’une société patriarcale aux mœurs étriquées sur les personnages d’Edith et Rose ainsi que toute la galerie de personnages féminins du récit – l’enquête parallèle menée par le groupe de voisines et la policière est d’une drôlerie inattendue – prouvent bien que ce ne sont pas tant les crimes supposés de l’accusée qui sont remis en cause, ni son langage ordurier, mais bien sa position de femme libre. Ce sont les mœurs modernes de Rose qui l’incriminent, veuve ouvrière portant des vêtements amples et une coupe garçonne, qui boit, fume, jure et élève sa fille avec un homme hors-mariage. L’Angleterre, corsetée et meurtrie par la perte colossale de ses jeunes hommes (plus de 700 000 morts) mobilisés sur les plaines assassines du Nord-Est de la France, ne sait pas encore comment combler ce trou béant et faire naître une nouvelle société. Les femmes ont remplacé les hommes partis au front dans le monde du travail, participant ainsi à l’effort de guerre, et  ont découvert un monde de privilèges et d’indépendance. Elles ne comptent pas se laisser réenfermer dans la domesticité et la servitude aveugle sans rien dire, et le mouvement des suffragettes fait rage à travers le pays où les citoyennes réclament le droit de vote.

C’est ce contexte historique qui apporte à Scandaleusement vôtre une lecture plus complexe qu’il n’y paraît. La société patriarcale aura vite fait de juger la « délurée et immorale » Rose Gooding, mais elle n’épargnera pas non plus Edith Swan dont la piété et le statut de vieille fille seront les sujets de moqueries de tous les titres de presse, plaçant encore une fois les femmes dans un double standard de bienséance impossible à atteindre. Edith et Rose parviendront à déjouer la rivalité ancestrale et destructrice imaginée par des normes patriarcales pour mieux se retrouver un juron libérateur après l’autre. En choisissant de placer sa comédie dramatique sous le giron de l’émancipation féminine, Sharrock trouve le véritable pouls de son film et balaie une palette de thématiques inattendues, dont celle de la maladie mentale. Elle nous offre une intrigue policière feel-good avec un twist – certes prévisible – que n’aurait pas renié la brillante Miss Marple.

LISA DURAND