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SHIRLEY - John Ridley

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Mrs. Chisholm goes to Washington

En voulant rendre hommage à la vie et aux combats militants et politiques de Shirley Chisholm, Netflix se noie dans un biopic convenu et sans rythme. Le prestation rigoureuse et incarnée de la grande Regina King ne parvient pas à sauver ce naufrage.

« La personne la moins respectée en Amérique est la femme noire. La personne la moins protégée en Amérique est la femme noire. La personne la plus négligée en Amérique est la femme noire. » Cette citation de Malcolm X datant d’un discours de 1964 pourrait ouvrir le long-métrage de John Ridley consacré à la femme politique Shirley Chisholm et à son parcours de candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine de 1972. Institutrice, Chisholm est la première femme afro-caribéenne américaine élue membre de la Chambre des représentants des États-Unis, où elle siègea pendant 14 ans. Le film la dépeint comme un personnage déterminé qui ne s’excuse jamais d’exister ni de se battre pour ses droits et ceux du peuple américain. Elle est placée comme un phare dans l’obscurité à l’intérieur d’une nation gangrenée par les inégalités raciales, sociales et sexistes. Elle occupe une position délicate au sein de cette campagne électorale de 1972 : celle d’une pionnière. Elle subit le point de vue biaisé et raciste de la classe politique blanche dominante, mais plus grave encore, celui de la classe politique afro-américaine masculine, bourgeoise comme ouvrière. Elle subit également le manque de solidarité des mouvements féministes blancs bourgeois des années 1970. Le film illustre bien l’absence de convergence et d’intersectionnalité des luttes dont la géométrie politique auraient pu tout changer dans le parcours présidentiel de Chisholm.

Les intentions de John Ridley et de Netflix sont louables, ils veulent rendre hommage aux travaux d’une des pionnières de la politique américaine de la deuxième moitié XXe siècle ; mais on ne le sait que trop bien, les bonnes intentions ne suffisent pas pour faire un bon film. Shirley est malheureusement trop pavé de ces bonnes intentions et devient rapidement le cliché lénifiant du biopic embaumé dans une reconstitution surannée. Le long-métrage proposé par Ridley est d’un académisme confondant, avec un usage superficiel et maladroit des images d’archives. On est figé dans une reconstitution sans aspérité à la raideur arthritique. Cette réalisation en pilote automatique ne prend jamais de risque, et c’est à l’honorable Regina King de fabriquer chaque plan à la force de son jeu et de sa conviction profonde en son personnage. Elle parvient à insuffler dignité et ténacité à la grande femme que fut Shirley Chisholm. C’est King qui porte le récit à bout de bras, aidée par un casting impeccable.

Shirley sort quelques mois après le fougueux et impertinent Bayard Rustin, lui aussi produit par Netflix et retraçant le combat du militant homosexuel afro-américain Bayard Rustin pour organiser la marche pour les droits civiques à Washington de 1963, qui culminait avec le discours déterminant du révérend Martin Luther King Jr I Have A Dream. Face à cette partition endiablée – qui a valu à l’excellent Colman Domingo sa première nomination à l’Oscar du meilleur acteur – Shirley fait pâle figure. Film politique paresseux et sans envergure pensé comme une campagne promotionnelle molle, il aurait mieux fait de regarder du côté de la mini-série politique Mrs America (2020) créée par Dahvi Waller, où Chisholm était déjà incarnée par la remarquable Uzo Aduba. Celle qui disait « Je ne veux pas qu'on se souvienne de moi comme la première femme noire à être élue au Congrès des États-Unis, même si je le suis. Je ne veux pas qu'on se souvienne de moi comme la première femme qui a montré qu'un Noir peut espérer être un candidat sérieux à la présidence. J'aimerais être connue comme étant un ferment du changement, une femme déterminée, une femme constante dans son combat à la fois pour les femmes et pour les Noirs parce que je suis à la fois une femme et une Noire » aurait mérité mieux que l’hommage tiède servi par John Ridley.

LISA DURAND