Sorociné

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LA RIVIERE DES SENS – Ma Xue

© Space Odyssey

Trouple en huis clos

Avec des images souvent crues, parfois poétiques, La Rivière des sens suit la redécouverte intime et sexuelle d’une femme lors du confinement lié à la pandémie mondiale.

À Yanjiao, surnommée « la ville dormante » – ses habitants ne font qu’y dormir puisqu’ils travaillent à Pékin le jour –, vit Yang Fan. Confinée dans son appartement lors de la pandémie mondiale, cette jeune femme passe ses journées à nettoyer, cuisiner et faire du sport. Les seules dissonances dans ce rythme monotone sont les instants qu’elle consacre à son amant, pendant que son mari les observe à travers un trou dans le mur. Au fil des semaines d’enfermement, d’autres amants vont se succéder pour d’autres jeux, rapprochant curieusement les deux époux…

Ce scénario se déroule quasiment sans un bruit (les gémissements mis à part). Outre une voix off épisodique et des lignes de dialogue pouvant se compter sur les doigts de la main, la réalisatrice chinoise Ma Xue choisit de raconter son histoire uniquement à travers le prisme des rapports corporels (très nombreux) et surtout visuels. Ce dernier point est ce qui fait de La Rivière des sens un film singulier et finalement bien plus contemplatif et réflexif qu’érotique. Tout au long des scènes de rapports sexuels, l’intérêt pour le spectateur est de savoir « qui regarde qui ». Le mari observe-t-il sa femme à travers le mur ? La femme a-t-elle l’intérêt porté sur son amant ou se focalise-t-elle sur elle-même ? L’essentiel des relations entre les personnages ne se comprend alors qu’à travers les regards qu’ils se portent, sans jamais verser dans le jugement, mais plutôt dans la réflexion autour du plaisir à regarder et à être vu. De même, la réalisatrice pense son regard en optant pour le female gaze (qui rend compte des sensations et des sentiments des personnages plutôt que de les érotiser), permettant au film d’enchaîner les scènes crues sans tomber dans la simple obscénité.

ENORA ABRY