STARS AT NOON - Claire Denis
Ad astra per aspera
« Pourquoi êtes-vous venu ici ? » « Je voulais connaître les dimensions exactes de l’Enfer. » Cet échange drôle et désabusé est tiré du dernier long-métrage de Claire Denis, Stars at Noon. La réalisatrice joue le jeu de la paranoïa et de la passion dévorante dans cette nouvelle proposition cinématographique, Grand Prix de la compétition officielle du Festival de Cannes 2022.
Claire Denis adapte, avec l’aide de la scénariste et réalisatrice Léa Mysius (Ava, Les Cinq Diables), le roman éponyme de l’auteur américain Denis Johnson. Décédé en 2017, il avait donné à Denis son accord pour une adaptation. Sa seule condition était de ne pas être impliqué dans le processus, en raison de la portée trop personnelle du sujet.
Denis nous fait suivre Trish Johnson (Margaret Qualley), une journaliste américaine coincée au Nicaragua sans passeport à la suite de la rédaction d’un article critiquant le pouvoir en place et la politique locale avant des élections factices. Sur le chemin déjà accidenté de Trish, elle place Daniel DeHaven (Joe Alwyn), un Anglais mystérieux travaillant pour une compagnie pétrolière. De cette rencontre de fortune naîtra une histoire d’intérêts puis une histoire d’amour désespérée dans un climat politique violent.
Trouble Every Day
Claire Denis, comme à son habitude, filme avec beaucoup d'habileté ses personnages. Cinéaste des corps et des grands espaces, sa caméra oscille entre faune nicaraguayenne et étreinte des corps. Le film est baigné dans une moiteur dangereuse. La réalisatrice navigue, retorse, entre le film d’espionnage et le thriller psychologique. Les cartes sont rapidement jouées et on sait que les amoureux maudits ne gagneront pas ensemble.
Paradoxalement, Denis crée une géographie très resserrée dans ce film d’extérieur à la photographie suintante et humide. Elle nous balade dans un engrenage paranoïaque et fiévreux. Elle divise son récit en deux tours de manège infernal : dans un premier temps au Nicaragua, puis le long de la frontière costaricaine. Compagnon de toujours du cinéma de Claire Denis, Stuart Staples et son groupe Tindersticks rehaussent la paranoïa mentale du film avec quelques notes de jazz répétées presque jusqu’à la folie ; surtout le temps d’une scène de discothèque mélancolique et sensuelle, dont le cinéma de Claire Denis a le secret.
La réussite de Stars at Noon tient surtout dans la collaboration symbiotique entre la réalisatrice française et sa comédienne, l’américaine Margaret Qualley. La prodigieuse actrice porte le film de tout son corps. Elle s’abandonne totalement à la caméra de Denis qui la suit dans la plus triviale des intimités comme dans la plus brutale. Denis pose son regard contre sa comédienne, elle capte sa nudité et son érotisme sans jamais l’instrumentaliser ni la fétichiser. Trish est une jeune femme à la sexualité active. C’est un personnage séducteur, drôle et sensible. Denis fait s’écrouler le monde autour d’elle, la fait trébucher mais ne la laisse jamais tomber. Qualley s’amuse beaucoup avec ce personnage féminin complexe et ambivalent, aux méthodes peu orthodoxes, et la caméra de Claire Denis le lui rend bien. Stars at Noon, c’est l’échec d’un amour trop beau ou trop dangereux pour être vécu dans le monde réel.
LISA DURAND