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TÉLÉTRAVAIL DU SEXE - Carmina & Prune

Copyright Backstage TTDS

Erotisme 2.0

Sous la direction de Carmina et Prune, des créateur·ices de contenu adulte en ligne affirment leur fierté d’exercer leur métier, dans ce documentaire qui en dévoile les coulisses. Une réappropriation nécessaire du discours sur ce milieu tant stigmatisé.

Amateur·ices de faits divers morbides, passez votre chemin. Ce ne sont pas les scandales de la pornographie qui sont examinés dans le projet de Carmina et Prune. En parallèle de leur activité, les deux travailleuses du sexe et créatrices de contenu pornographique se sont posées en observatrices sereines de leur propre profession, en recueillant les témoignages de cinq de leurs collègues. Nourries par leur propre expérience, elles mènent habilement le cours des interviews qui parcourent les différents aspects de la profession, en s’attardant sur sa réalité, même la plus banale.

Prostituées ou danseuses érotiques ont été de nombreuses fois portées à l’écran, comme cette année de manière réussie dans la Palme d’or de Sean Baker, mais les camgirls, nommées ici télétravailleuses du sexe (TTDS), y sont beaucoup plus discrètes. Ce métier de l’ère d’Internet est en pleine expansion depuis le premier confinement. S’affranchissant des industries pornographiques amplement et justement critiquées, un travail du sexe d’auto-entrepreneuses est apparu. Des plateformes en ligne comme OnlyFans et les réseaux sociaux permettent aux TTDS de vendre leurs créations comme elles l’entendent et de développer leur communauté. Par son approche sobre et épurée, le documentaire démystifie complètement ce métier si fantasmé. Les cinq interviews se déroulent directement chez chacune d’entre elles, dans l’espace qu’elles occupent pendant de longues heures de vie professionnelle et personnelle. C’est avec plaisir qu’on découvre leurs intérieurs, qu’elles arrangent à leur manière pour la prise de vidéo ou de photo, mais qui sont surtout empreints de leur personnalité. Le documentaire ne montre pas beaucoup d’images explicites, car toute l’attention est portée au récit des cinq performeuses, que l’on voit aussi bien se préparer à une séance photo sexy que faire de la comptabilité en buvant une tasse de thé dans le canapé.

Comme tant de créateur·ices de contenu en ligne, elles parlent avec animation des choses qui comptent pour elles, comme la créativité, le contrôle sur leurs productions, la relation avec les clients. Certaines aiment cette liberté qu’elles ont acquise avec ce travail, d’autres mettent en avant le rapport thérapeutique qu’il semble leur apporter au niveau de leur relation avec leur propre corps. Mais au delà de leurs particularités, elles insistent toutes sur la dureté du travail fourni, à l’encontre du cliché qui veut qu’une femme peut gagner des milliers en quelques clics, simplement avec une photo de ses pieds. Car la réalité d’une TTDS, c’est aussi beaucoup de paperasse, de solitude et de cyberharcèlement. Les stigmates violents viennent s’ajouter à la précarité de l’activité d’indépendante, avec des conséquences concrètes dans la vie de chacune.

Il ne faut pas chercher ici de prétention d'exhaustivité sur l’expérience du travail du sexe, ni d’exercice de sociologie. La forme choisie l’annonce : par les interviews, on a affaire à des témoignages, un point de vue interne sur un sujet complexe, qui divise au cœur même des mouvements féministes. Ces entrevues leur donnent un espace pour qu’elles s’expriment alors qu’elles n’en ont que rarement l’occasion, et ce, dans leurs termes. Le documentaire s’inscrit dans cette démarche de contrôle absolu : il a été entièrement auto-produit, ce qui a laissé une liberté de ton totale à ses créatrices, affranchies des productions qui n’hésitent pas à surfer sur le sensationnalisme pour attirer les spectateurs. La logique d’aller-retour de chaque côté de la caméra et le choix d’une équipe technique en non-mixité font écho aux tournages de films pornographiques de Carmina, qui, bien que réalisatrice, continue d’y jouer régulièrement. Une éthique de travail inspirante et peu répandue, qui s’ajoute aux nombreuses réflexions individuelles et sociales ouvertes par le documentaire, indispensables pour construire sa vision féministe.


LÉA LAROSA