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LE THEOREME DE MARGUERITE - Anna Novion

Copyright Pyramide Films

La bosse des maths

Surprise, la super-héroïne de l’automne est une mathématicienne de génie et s’appelle Marguerite ! Entre récit d’apprentissage, thriller scientifique et comédie romantique, Le Théorème de Marguerite nous fait vibrer pour un sujet dont la cinéaste Anna Novion fait oublier la froideur présupposée. Coup de cœur.  


L’austérité du décor de l’ENS, un tableau noir rempli de signes incompréhensibles pour tout profane, une héroïne ultra-rationnelle et une équation chimérique comme fil rouge narratif… Le Théorème de Marguerite s’aventure sur un terrain rarement abordé au cinéma, si ce n’est dans le célèbre exemple Will Hunting de Gus Van Sant (1997) : j’ai nommé les mathématiques. Mais, plus que les chiffres, c’est l'obsession du mathématicien (ici au féminin) d’aller au bout de son problème, qui intéresse la réalisatrice Anna Novion. Marguerite, brillante normalienne sur le point d’achever sa thèse, plaque ses études du jour au lendemain à la suite d’une erreur de calcul provoquant le désaveu de son directeur de travaux. Les mois passent, mais petit à petit, le naturel revient et la jeune femme se plonge de nouveau corps et âme dans l’algèbre. Et si c’était elle qui allait déchiffrer l’insoluble conjecture de Goldbach ? 


Au départ, quelques clichés émaillent le traitement de ce sujet un peu galvaudé qu’est l’inévitable lutte d’une femme pour s’imposer dans un milieu masculin : Marguerite est la seule femme dans son département, supportant les remarques puériles de ses camarades ; elle fait les frais du paternalisme de son directeur de thèse ; elle efface physiquement toute forme de féminité ; sa vie est faite de solitude… Mais peu à peu le film nous capte par sa fascinante héroïne, Marguerite s’avérant rapidement aussi insaisissable que l’équation qui la hante. Déterminée, efficace, elle ne s'embarrasse d’aucun filtre social face à ses pairs ; colocs, amants et collègues n’ont qu’à s’y faire ! À l’inverse de l’étiquette victimaire que voulait lui accoler son professeur, Marguerite se révèle être une femme puissante qui sait s’imposer dans diverses situations, comme dans les parties clandestines de Mahjong ou dans cette improbable scène de drague nocturne où elle suit dans la rue un garçon préalablement repéré en boîte… Elle finira d’ailleurs dans son lit à se préoccuper uniquement de son propre plaisir. Anna Novion ne fait pas pour autant de son personnage une extraterrestre, Marguerite devenant de plus en plus attachante à mesure qu’elle s’ouvre sentimentalement aux autres, faisant ainsi entrer le spectateur dans son univers intérieur. Ella Rumpf, repérée en sœur cannibale dans le Grave de Julia Ducournau (2016) et plus récemment dans la série de Michael Mann Tokyo Vice, épate dans la peau d’une Marguerite sans concession. Le personnage se veut représentatif du vécu d’une élite scientifique, et la mathématicienne française Ariane Mézard a été une consultante très présente auprès d’Anna Novion sur ce projet (toutes les équations que vous voyez à l’écran sont donc vraies, si vous vous posiez la question !). Toutefois, on y déniche facilement une métaphore entre Marguerite et la propre voix de la réalisatrice sur le parcours du combattant pour les femmes cinéastes d’imposer leurs obsessions jusqu’à la salle de cinéma. 

Copyright TS productions/Michael Crotto

On notera par ailleurs l’intéressante analyse des rapports hommes-femmes dans un milieu censé “ne pas s'embarrasser des sentiments”, pour reprendre les mots du maître de thèse de Marguerite incarné par Jean-Pierre Darroussin, le véritable bad guy du film. Entre paternalisme, frustration intellectuelle et misogynie à peine dissimulée, le comédien propose un personnage ambigu bien loin de son image de bonhomie habituelle (c’est par ailleurs sa troisième collaboration avec la réalisatrice, sa compagne dans la vie). Face à cette figure d’autorité s’apparentant à l’ancien monde, Marguerite se méfie ainsi logiquement dans un premier temps du nouvel étudiant chouchou du professeur (excellent Julien Frison, déjà aperçu dans L’Événement d’Audrey Diwan), avant de lui accorder progressivement sa confiance, et peut-être même un peu plus… donnant à la seconde partie de ce Théorème des airs de romcom au charme fou. 

La mise en scène dynamique, portée par un montage ultra-efficace, tient ainsi le spectateur en haleine face aux chiffres qui défilent et l’évolution émotionnelle de sa surprenante héroïne. Impossible de ne pas évoquer pour finir le rôle des décors dans cette manière de rendre la matière mathématique cinématographique, réalisés par la cheffe décoratrice Anne-Sophie Delseries. Après la froideur des couloirs d’une école entravant la créativité de Marguerite, celle-ci se libère totalement dans un appartement repeint de noir où la craie de l’étudiante trace des lignes de calcul jusque dans les moindres recoins. Une jolie façon de représenter visuellement sa monomanie, récompensée par le prix CST de la jeune technicienne de cinéma au dernier Festival de Cannes (où le film était présenté en séance spéciale). Qui a dit que les mathématiques n’étaient pas cinématographiques ? 

ALICIA ARPAÏA