Sorociné

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TO KILL THE BEAST - Agustina San Martín

Loup y es-tu ?

En 2019, Agustina Martín avait su séduire les festivaliers cannois grâce au court-métrage Monstruo Dios, heureux détenteur d’une Mention spéciale du jury. Portrait mystique de son Argentine natale, Agustina Martín représentait son « monstre-dieu » en centrale électrique. La tonalité fantastique du récit s’y jouait en toile de fond, dominée par la mélancolie contemplative de ses personnages enfantins et des troupeaux de vaches batifolant dans les champs. To Kill the Beast, son premier long-métrage, s’improvise sans détours comme une prolongation de cette proposition. Le cadre bucolique (à la croisée du Brésil et de l’Argentine) demeure, la sobriété de la narration aussi. 

Au centre de l’intrigue, la famille fracturée d’une adolescente, Emilia. Réservée mais téméraire, la jeune fille s’aventure dans la jungle tropicale où réside sa tante Inès à la recherche de son frère disparu. Ce séjour, qui réouvre les plaies familiales, menace de virer au cauchemar quand les locaux remarquent la présence d’une bête effrayante dans les bois.

L’accroche peut être trompeuse. To Kill the Beast n’a rien d’un survival et son titre n’est pas à prendre au sens littéral. Dans ce drame psychologique, c’est l’abcès qu’il faut crever. Il repose sur une métaphore exploitée jusqu’à l’usure dans l’art : celle de la bête comme symbole d’altérité, la matérialisation des non-dits, des tensions intracommunautaires. Victime de l’obscurantisme ambiant, l’homme bascule dans l’état animal acculé par des fourches, mais il semble aussi être une projection mentale d’Emilia. Empesée par des questionnements familiaux et plus personnels, la jeune femme affronte la somme de ses inquiétudes à travers la bête, qui se fait aussi l’allégorie de la masculinité toxique. La bête peut ainsi incarner un peu tout ce qu’on veut. Quelle-image valise bien commode (et un peu facile) !

Malgré ces quelques défauts d’écriture, To Kill the Beast créé avec talent une atmosphère feutrée à la fois poétique et sauvage, qui évoque l’accalmie des après-midis d’été. Niché dans un écrin verdoyant nimbé de brume, son village frontalier est l’espace liminal par excellence.