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TOUTE LA BEAUTÉ ET LE SANG VERSÉ - Laura Poitras

Copyright Pyramide Distribution

Kaddish contre la solitude

Détenteur d’un Lion d’or ô combien justifié, Toute la beauté et le sang versé est un sublime portrait de Nan Goldin et des laissés pour compte.

Une tignasse auburn négligemment attachée, une garde-robe sobre, entièrement composée de noir… La silhouette chétive de Nan Goldin flotte dans un paysage enneigé, auréolée de fumée de cigarette. À l’aube de ses 70 ans, la photographe a le timbre rauque, éraillé par de longues nuits de liesse underground, de sanglots et de slogans criés au mégaphone. Au micro de la réalisatrice Laura Poitras, elle compte ses morts. Mais il n’y a, chez elle, pas une once de résignation qui peut survenir avec l’âge. Ça, Toute la beauté et le sang versé s’assure de le faire comprendre.

La bonne entente de Nan Goldin et Laura Poitras n’est pas fortuite : cette dernière retrouve en Goldin quelque chose d’Edward Snowden, sujet de Citizenfour, son précédent documentaire. Dans les années 2000, l’artiste s’est elle aussi reconvertie en lanceuse d’alerte : ex-addict aux oxys, elle part en guerre contre les milliardaires Sackler et leur empire, en partie bâti sur la crise des opiacés.

Ballade en continent queer

Toute la beauté… capture l’essence des photographies de Nan Goldin, un sublime hanté, logé dans les prunelles de ses modèles et dans l’effervescence des lieux qui l’ont marquée. La violence aussi, manifeste dans La Ballade de la dépendance sexuelle ou plus insidieuse. Comme elle, la réalisatrice n’objective pas les marginaux, elle n’instrumentalise pas les milieux underground pour recouvrir son travail d’un vernis faussement subversif.

Silence = mort. La formule-coup de poing d’Act Up traverse Toute la beauté et le sang versé tel un leitmotiv. Silence emmurant les jeunes filles derrière les portes closes des pavillons. Silence face à la détresse des séropositifs et des toxicomanes. C’est un autre type de silence qui s’empare de l'œuvre de Nan Goldin alors que passent les années. Le tumulte du monde de la nuit a cédé à des paysages flous, embrumés. Lassitude ? Non. Peut-être une forme de paix.