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Étrange Festival 2024 : Veni Vidi Vici et The Devil’s Bath

Copyright Ulrich Seidl Film Produktion GmbH

Pour clore cette édition de l’Étrange Festival, on vous emmène en Autriche, à travers deux époques différentes et deux études de mœurs engagées produites par Ulrich Seidl : Veni Vidi Vici et The Devil’s Bath.

Eat the poors 

Veni Vidi Vici, réalisé par Daniel Hoesl et Julia Niemann, d’après un scénario de Daniel Hoesl, bénéficiait de sa première projection française. Primé à Sundance, le film narre l’histoire d’une famille multimillionnaire, soudée, aimante. Seulement, M. Maynard, le père, a un hobby un peu spécial : il aime tirer sur les promeneurs égarés. Mais l’impunité dont il jouit commence à devenir ennuyeuse.

Vous l’avez compris, dans cette comédie noire, la méritocratie n’existe pas, la richesse donne plein pouvoir. Le sujet a maintes fois été abordé au cinéma et sera toujours inévitable puisque malheureusement inhérent à notre société. En revanche, on attend, en 2024, un peu plus novateur dans la mise en scène que de gros plans sur des riches se livrant à des activités typiquement bourgeoises, au ralenti et sur une musique d’opéra. Veni Vidi Vici est l’héritier de Ruben Ostlund et Yorgos Lanthimos, mais il plonge également dans tous les poncifs surannés de ses prédécesseurs. Autrement, une fois ce défaut digéré, le film a le mérite de basculer dans de l’absurde franchement drôle. Assez bien écrite pour être surprenante, la comédie noire se savoure malgré son manque crucial d’inventivité.   

Les sacrifié·es

Dans un registre beaucoup moins joyeux, The Devil’s Bath se déroule dans l’Autriche du XVIIe siècle. La jeune et très pieuse Agnes est déçue par sa vie conjugale qui ne fonctionne pas malgré tous ses efforts. Son mariage d’amour la rend malheureuse, son mari ne semble pas la comprendre, sa belle-mère ne lui facilite pas la tâche et sa famille lui manque. Agnes sombre dans un désespoir de plus en plus profond. 

Le film annonce dès son introduction qu’il n’épargnera pas ses spectateur·ices. S’appuyant sérieusement sur le travail d’une chercheuse, c’est un drame d’époque conscient de la violence qu’impose sa reconstitution historique. Il a pour formidable atout de n’être jamais racoleur : le visionnage a beau être difficile, il n’y a aucun moment de gras. Et si l’œuvre n’est pas aimable, elle ne malmène jamais les spectateur·ices plus que nécessaire. L’écriture du personnage d’Agnes et la performance de Anja Plaschg (aussi connue sous le nom de Soap&Skin, compositrice de la musique du film) est assez fine pour introduire une grande sensibilité qui apporte toujours un peu de cœur dans l’austérité globale. 

The Devil’s Bath aurait pu devenir un film fantastique, du folk horror féministe flamboyant à l’image de The Witch de Robert Eggers. Il ne le fait pourtant pas, s’interdisant toute fantaisie inutile. Laissant une grosse boule dans la gorge plutôt que des sillages larmoyants, il traite ouvertement de la dépression et met en lumière une partie de l’Histoire encore glissée sous le tapis. L’impact de la religion, la misogynie et une infinie tristesse se cristallisent autour d’un seul et même personnage, dont le destin violent n’est finalement, on le devine aisément, qu’un chemin similaire à beaucoup d’autres. Outre son caractère nécessaire, le film s’impose également comme l’un des meilleurs éléments de la sélection, toutes catégories confondues. 

The Devil’s Bath, dont la réalisation est signée Severin Fiala et Veronika Franz (également scénaristes), est reparti bredouille du festival, mais on n’a pas fini d’en entendre parler puisqu’il arrive dans les salles françaises ce 2 octobre. 

MANON FRANKEN