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UN PETIT FRÈRE - Léonor Serraille

Famille, je vous aime

Second long-métrage de Léonor Serraille, Un petit frère est reparti bredouille de l’édition 2022 du Festival de Cannes, où il était en compétition. Pourtant ce film, racontant 20 ans d’une famille immigrée en France, était sans doute l’un des plus beaux et réussis de la sélection officielle.

Le film est né d’un manque, et d’un étonnement de ne pas voir cette histoire-là portée au cinéma”. Effectivement, quand on voit Un petit frère, on a l’impression d’avoir vu très peu de récits semblables au cinéma. Pourtant, cette histoire de famille immigrée en France n’est pas rare. Rose et ses deux jeunes enfants, Jean et Ernest, arrivent en France dans les années 80. De leur installation en banlieue parisienne à leur déménagement à Rouen, on suit les tribulations de cette famille à travers ses trois protagonistes, qui successivement, racontent un chapitre de leur histoire et du film. Là réside la meilleure trouvaille du film, nous permettant de découvrir les trois membres de cette famille monoparentale dans toute leur complexité et sensibilité.

A leur arrivée en France, Rose devient femme de ménage dans un hôtel parisien. Ambitieuse pour ses fils, qu’elle encourage à être premiers en classe, Rose est aussi une jeune femme pleine de vie, aimant sortir, danser, rencontrer des hommes. Découvrir cette mère de famille d’origine africaine qui ne répond à aucun cliché sur l’immigration a quelque chose de réjouissant, tant ce genre de personnages semble avoir été délaissé par le cinéma(1). L’actrice Annabelle Lengronne, véritable révélation du film, apporte une incroyable richesse à ce personnage espiègle et chaleureux. On retrouve la famille quelques années plus tard à Rouen, à travers le regard du frère aîné Jean, dont les rêves de devenir pilote d’avion semblent déjà bien loin. Sa mère étant à Paris la semaine, c’est lui qui se charge de l’entretien de l’appartement et de l’éducation de son petit frère. Promis à un avenir glorieux, Jean abandonne tout du jour au lendemain, rattrapé par un sentiment d’illégitimité dévastateur. Dans le rôle de ces deux frères esseulés, Stéphane Bak et Kenzo Sambin illuminent l’écran par leur jeu juste et subtil, en disant beaucoup plus avec leurs regards que par les mots. Alors qu’un événement inattendu redistribue les cartes et l’équilibre familial, la réalisatrice donne la parole au petit frère, Ernest, resté jusque-là dans l’ombre de cette mère trop lumineuse et de ce frère trop doué. On le retrouve dix ans plus tard, incarné par Ahmed Sylla, excellent dans ce rôle à contre-courant des comédies populaires auxquelles il est habitué. Dans une scène poignante où Ernest retrouve Rose, désormais tous deux adultes, l’émotion diluée de manière continue pendant tout le film peut enfin exploser.

Si Léonor Serraille reconnaît que ce récit d’immigration et d’intégration n’est pas le sien, il a été vécu par son compagnon, arrivé en France dans les années 80 avec sa mère. La réalisatrice ne prétend pas raconter leur histoire mais a le mérite de poser des questions sur la famille, la relation mère-fils, la constitution de l’identité et le sentiment d’appartenance à un pays. Après son premier long-métrage Jeune femme (2017), on retrouve dans le nouveau film de Léonor Serraille son talent de direction d’acteurs, la vitalité de ses personnages, la tendresse infinie dans leur traitement, ainsi qu’une mise en scène picturale éblouissante, servie par une attention portée aux cadrages. Ce film tendre, lumineux et poétique est certainement l’une des plus belles propositions de l’année. 

 (1) N’oublions pas le très beau Fatima de Philippe Faucon (2015), sur une mère de famille d’origine marocaine.