Sorociné

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UNE FEMME SUR LE TOIT - Anna Jadowska

Copyright DCM / Bernd Spauke

Jours moroses

Une excellente actrice et une belle intention de réalisme insufflent quelques lueurs dans ce long métrage plutôt monotone. 

Mirka est une mère de famille de soixante ans, qui s’attelle avec application à ses tâches quotidiennes à la maison et à l’hôpital où elle exerce en tant que sage-femme. Pourtant, elle vit avec un fardeau qu’elle cache à son entourage : elle est surendettée. La réalisatrice Anna Jadowska a choisi sa protagoniste parmi les oubliées des récits cinématographiques et épouse sa trajectoire à un moment charnière. Comme si son désespoir débordait, Mirka tente pathétiquement de braquer une banque avec son couteau de cuisine. Ce geste fait écho à la scène d’introduction, sorte de rêve éveillé dans lequel Mirka monte sur le toit de son lieu de travail. Soudain héroïne de science-fiction, elle sort par une écoutille, et marche jusqu’au bord du vide, prête à se lancer dans une sortie extravéhiculaire… fatale. Les deux actes parallèles sont coupés court, mais son délit, bien qu’inachevé, aura suffisamment perturbé la surface pour insuffler un changement certain dans sa vie. 

Ce n’est que le début du chemin de croix de Mirka, qui met bien en évidence l’effort nécessaire pour sortir des carcans sociétaux où elle se moulait jusqu’à l’étouffement. C’est la résignation dans son rôle aliénant de mère et d’épouse qui l’a menée à ce point de non-retour qu’elle affronte complètement démunie. Le film se raconte par les détails, comme les quelques secondes que met Mirka pour trouver le courage de parler, ou le moment bref où elle fixe son voisin qui travaille torse nu dans son jardin, comme frappée de plein fouet par sa vitalité, qui la rappelle au plaisir corporel. L’actrice (Dorota Pomykała) porte remarquablement une posture qui pourrait facilement tomber dans le redondant, grâce à un jeu habité et nuancé, qui lui a valu des récompenses internationales. 

Son parcours reste pourtant monotone, malgré quelques fulgurances de mise en scène comme lors de l’étrange ballet d’accueil à l’hôpital psychiatrique. Le ton dramatique ne varie quasi jamais, n’offrant pas de moment de relâchement bienvenu. Comme un reflet de l’intériorité du personnage, le film s’étend, piétine et s’enferme dans son esthétique glaciale et blanchâtre. Il devient un bloc froid, sur lequel le spectateur glisse et peine à s’accrocher. Très peu loquace, la protagoniste n’offre pas de point d’ancrage solide. Coincée dans sa dépression, elle ne se confie à personne, et maintient indéfiniment son attitude revêche. Il faut attendre la fin du long métrage pour avoir un moment qui dévoile enfin Mirka. Lors de son procès, elle répond à une question posée par la juge, et par la même occasion révèle des détails sur son endettement. Son visage prend alors pour la première fois une expressivité inoubliable. 

LÉA LAROSA