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VERSUS - L’ETE DERNIER, Catherine Breillat : POUR

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La victoire de la mise en scène

Avec “L’été dernier”, Catherine Breillat signe un retour tonitruant dans l’arène du 7e art, montrant qu’elle est une des autrices majeures de son époque avec une oeuvre à la mise en scène implacable sur un sujet des plus délicats. Un grand film.

Le vertige, ce n’est pas la peur du vide.
C’est la peur de l’envie irrémédiable de s’y jeter.

Cette maxime, énoncée par le personnage de Léa Drucker, relève tout le trouble de L’Été dernier. Vertigineux, le film de Catherine Breillat l’est assurément, tant la cinéaste s’empare d’un sujet épineux sans vouloir y imposer le moindre tabou. Anne à l’ascendant sur Théo, 17  ans. C’est sa belle-mère. Elle est aussi une avocate respectée. Une épouse, une sœur et une mère aimante. Une femme bien sous tous rapports. Pourtant Anne va se laisser emporter dans une passion sexuelle interdite pour ce corps adolescent. Oui, vous sentez déjà l’odeur du soufre venir à vos narines. Pourtant Breillat manie cependant avec brio ce scénario incestueux (adaptation du film danois Queen of Hearts de la réalisatrice May el-Toukhy) en le transcendant par une mise en scène qui, sans être moralisante, ne laisse nulle doute à la condamnation des actes de cette femme, remarquablement interprétée par Léa Drucker. 

Pour étayer cela, prenons appui sur la manière dont Breillat montre ces amants en évitant les contrechamps. Car Anne et Théo, à partir du moment où l'ambiguïté s’installe dans leur relation, ne seront plus jamais filmés de manière innocente. Si sur l’affiche on les voit côte à côte, presque sur un pied d’égalité dans une relation qui de fait ne l’est pas, Breillat prend soin de maintenir constamment une ambivalence dans les scènes où un jeu de domination opère. Que ce soit dans un cadre parental (quand Anne confronte Théo à son simulacre de cambriolage) ou dans un cadre de séduction (toutes les scènes sexuelles), jamais les visages des deux comédiens ne se retrouvent dans le même cadre face à nous. Breillat veille dans ces situations à ne nous laisser percevoir qu’un seul point de vue, qu’une seule expression, sur laquelle sa caméra s’attarde d’ailleurs, avec l’utilisation de gros plans pour ausculter le moindre rictus du personnage en question. Mais celui dont le visage est filmé est toujours celui qui semble dominer à ce moment-là la situation. Quand Théo se montre enjôleur, impossible de connaître vraiment l’expression d’Anne - est-elle aussi séductrice que lui ? ou au contraire désappointée ? De même, et c’est le plus troublant, quand on ne voit pas le visage de Théo, par exemple face à la jouissance de sa belle-mère… Que se passe-t-il dans la tête du jeune garçon à peine pubère ? Le trouble s’empare alors du spectateur. Le malaise grandit, totalement maîtrisé par la cinéaste, qui joue avec sa manière de montrer les émotions des ses deux protagonistes. Car par sa mise en scène, Catherine Breillat indique clairement le point de rupture. Toute réciprocité est impossible dans cette relation.

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Un désir aveugle

Il est ainsi beaucoup question de fantasme, le désir d’Anne pour le jeune Théo s’épanouissant dans un cadre bucolique, propice aux rêveries. Loin des glacials intérieurs bourgeois, Breillat filme des espaces extérieurs verdoyants tel un tableau de Renoir - l’influence de la peinture n’est d’ailleurs pas à négliger dans son travail, la cinéaste citant en outre l'influence du Caravage sur l’esthétisme de L’Été dernier. Dans la chaleur de l’été, dans un cadre baigné de lumière, tout semble permis pour ce personnage aveuglé par ses envies. Avec un comportement proche de l'adolescence, rien ne semble vraiment sérieux et Anne fait abstraction du jeu de domination qui se joue également dans ce jeu de séduction. Car il s’agit aussi pour une femme d’asseoir une forme d’autorité sur un adolescent en crise contre le cadre parental - rappelons qu’il est le fruit d’une première union de son époux. Théo, de son côté, est clairement montré comme un adolescent pas tout à fait sorti de l’enfance - cela se voit, par exemple, dans sa manière de jouer avec ses petites sœurs. Son arrogance, son envie d’appartenir au monde des adultes, participe à son engagement dans sa relation avec Anne. Il semble percevoir cela comme une situation de défi, une manière oedipienne de s’opposer au père, avant que la situation n’échappe à son contrôle.  

Quand le film finit par basculer vers les conséquences de cette liaison et le mensonge dans lequel s’enferme le personnage d’Anne, prête à tout pour garder son statut social, quitte à sacrifier son jeune amant, le film prend des allures de thriller social. Léa Drucker quitte cet état adolescent pour revêtir une robe de dureté. En montrant toute l’ambivalence de son personnage féminin, entre désir, indépendance, pouvoir et orgueil, Breillat offre une représentation unique des dérives d’une bourgeoise aveuglée par son sentiment d'invincibilité. Elle s’abandonne dans une passion à l'issue forcément dévastatrice - ce qu’elle ne peut ignorer, comme l’indique l’ouverture du film : un face-à-face entre l’avocate et une jeune cliente violentée. Si l'ambiguïté du film surprend en premier lieu, on ne peut que conseiller à ses détracteurs initiaux de le revoir pour apprécier toute l'inventivité de la captivante mise en scène de la perversité par la cinéaste.

ALICIA ARPAÏA