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Cannes 2024 : WHEN THE LIGHT BREAKS -Rúnar Rúnarsson

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Broder le deuil

Présenté en ouverture de la sélection Un certain regard au Festival de Cannes, ce film islandais explore avec délicatesse la question du deuil. Et en profite pour jeter un regard moderne et pertinent sur les relations entre les femmes.

Tous les gens heureux se ressemblent. Les gens malheureux le sont chacun à leur façon. Paraphraser l’incipit d’Anna Karénine, de Léon Tolstoï, permet d’exposer l’idée de départ de When the Light Breaks. Ce film islandais, présenté en ouverture de la sélection Un certain regard à Cannes, raconte les vingt-quatre heures qui suivent la mort accidentelle d’un jeune homme avec ceux qui restent. Ou plutôt celles qui restent. Una est une étudiante en art qui s’imaginait déjà vivre une belle histoire avec Diddi, son amant, avant qu’il ne soit avalé par une explosion dans un tunnel. Il lui avait promis de quitter Karla, sa copine officielle mais habitant à distance. Cette dernière, n’en sachant évidemment rien, saute dans un avion lorsqu’elle apprend la nouvelle. Voilà donc Una et Karla face à face, rongées par la douleur et le chagrin, sans que la première puisse pleinement l’exprimer.

Le réalisateur Rúnar Rúnarsson capture avec une délicatesse infinie (parfois même un peu trop) ce qu’une telle journée peut avoir d’insupportable, de violent, mais aussi de beau et d’absurde. On pleure beaucoup dans When the Light Breaks mais on rit aussi, on s’émerveille en regardant le clocher d’une église, on danse jusqu’à l’épuisement pour rendre hommage au musicien disparu, on évite les autres autant qu’on recherche leur contact. La mise en scène du cinéaste réserve quelques moments de bravoure, comme ce plan avec des jeunes qui s’accrochent les uns aux autres pour se consoler, éviter de sombrer même, et qui finit par ressembler à une peinture du Caravage. Profitant de l’architecture particulière d’une villa moderne ou d’un aéroport tout de verre et d’acier, Rúnar Rúnarsson compose chaque image avec une précision remarquable.

Mais la grande force du film est surtout d'amener la relation entre Karla et Una sur un terrain inattendu. Ces deux femmes sont d’abord unies par une inextinguible jalousie. La première n’a jamais vu d’un bon œil l’arrivée d’une fille dans le groupe de musique de son petit ami. La seconde donnerait tout pour qu’on la plaigne à la juste mesure de l’amour que Diddi lui portait. Rúnar Rúnarsson évite soigneusement le piège de la rivalité féminine explosive pour lui préférer une ambiguïté autrement plus fascinante. Après la mort, le cinéaste préfère voir le lien, artificiel peut-être, éphémère sûrement, mais bel et bien là. Il a aussi le bon goût de faire confiance à deux actrices, Elín Hall et Katla Njálsdóttir, pour jouer de peu de mots. Son avant-dernière scène, absolument sublime, encapsule à elle seule ce beau projet. Un rapprochement, une caresse légère, pour contrer du même coup la peine indicible et des décennies de représentations clichés des femmes au cinéma.

MARGAUX BARALON