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WOMEN TALKING - Sarah Polley

Copyright 2022 Orion Releasing LLC.

Les Mennonites vont à Hollywood

Taillé pour les Oscars où il n’aura gagné qu’une statuette, Women Talking s’empare de faits réels effroyables et les passent sous la moulinette du féminisme consensuel.

« Elles disent qu’elles ont appris à compter sur leurs propres forces. Elles disent qu’elles savent ce qu’ensemble elles signifient. Elles disent, que celles qui revendiquent un langage nouveau apprennent d’abord la violence [...] Elles disent qu’elles partent de zéro. Elles disent que c’est un monde nouveau qui commence. » - Monique Wittig dans Les Guérillères.

Comme le relate Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig considérait que pour libérer la parole des femmes à l’écran, il fallait poser la caméra sur un trépied et la laisser tourner. Sarah Polley a-t-elle reçu ce précepte ? Tient-elle plus de l’insoumuse que de Sidney Lumet et de son 12 hommes en colère, que les critiques ont beaucoup comparé à Women Talking ? Difficile à dire. Pour adapter le roman Ce qu’elles disent de Miriam Toews, la réalisatrice opte pour un quasi-huis clos en quasi non-mixité. Deux influentes familles d’une communauté mennonite y débattent de l’avenir des femmes de leur colonie après une série de viols aux détails abjects. Rester et lutter ? Ou partir en vers de meilleurs lendemains ?

Une analyse lacunaire des rapports de pouvoir

Au-delà des spécificités de leur situation, c’est tout l’appareil patriarcal que les religieuses évoquent dans leur discussion. Alors que l’éveil de leur conscience féministe n’en est qu’à ses balbutiements, elles débattent des limites de la violence politique, de la place des hommes et l’éducation des garçons. Elles passent par des états d’âme familiers à quiconque ayant déjà participé à une assemblée générale ; leurs avis s’entrechoquent, elles passent du rire aux larmes et fument des clopes pendant les pauses. Ce terreau démocratique manque avant tout de synergie (on dirait que ces connaissances de longue date viennent de se rencontrer) et regorge d’impensés, qui laissent un goût d’inachevé - comment évoquer l’oppression de ces femmes sans parler de la nature même de leur communauté religieuse et misogyne ? Sujet épineux, auquel Sarah Polley a peut-être craint de se confronter.

Plutôt que de creuser l’essence du contexte local, le caractère atypique de la communauté est retranscrit par l’esthétique. Un cadre rigide, pour illustrer des mœurs rigides. Outre sa scène d’ouverture viscérale, glaçante, Women Talking est empesée dans un langage visuel terne, austère, et surtout, lourdaud. La symbolique de l’innocence y est tartinée à la truelle, on ne compte plus les ralentis sur des chérubins en robe fleurie gambadant dans les champs sous une lumière dorée.

Du féminisme libéral en terre mennonite

Dans son acception péjorative, le féminisme libéral est un mouvement pour l’égalité purgé de sa radicalité. Porté par des femmes de la classe dominante, il est mainstream et donc consensuel. Quel rapport avec les communautés mennonites de Bolivie ? Eh bien, Women Talking, qui s’empare d’un témoignage effroyable sans vouloir faire trop de remous.

Cette mentalité vient se cristalliser autour du personnage central d’Ona, interprété par Rooney Mara, une figure presque christique au féminin. Qualifiée d’utopiste par ses comparses, Ona prône des valeurs d’équité. Confrontée à l’hostilité, elle sourit. Enceinte de son violeur, elle accepte l’enfant pour lequel elle est déjà débordante d’amour. Débordante d’amour, elle l’est aussi à l’égard d’August (Ben Whishaw), la caution #NotAllMen du film - pourquoi en fallait-il une compte tenu de la gravité du sujet ? Ona représente finalement tout ce qu’il est attendu d’une « bonne » féministe, sans aspérités ni contradictions.

Des fois que le message ne soit pas passé, Sarah Polley se sent obligée de faire déclarer à une protagoniste « Not all men » sur un air au violon. Comme le film bangladais Rehana Maryam Noor (Abdullah Mohammad Saad, 2021), Women Talking ne montre jamais le visage de l’agresseur. Mais alors que les connotations politiques de ce choix sont embrassées dans le premier, il ressemble presque à un refus de la confrontation dans le second. Refus compréhensible après avoir passé une bonne partie du film à défendre l’idée que tous les hommes ne sont pas mauvais.

À vouloir préserver tout le monde, on finit par ne plaire à personne.