Cannes 2025 - ALPHA - Julia Ducournau
© MANDARIN & COMPAGNIE KALLOUCHE CINEMA FRAKAS PRODUCTIONS FRANCE 3 CINEMA
Et nous redeviendrons poussière
Attendue au tournant après Titane, Julia Ducournau propose avec son troisième long-métrage le récit d’une famille face au traumatisme d’un virus inspiré du sida. Clivant, confus, parfois tape-à-l’oeil, Alpha se démarque surtout par son immense mélancolie.
C’était peu dire qu’on l’attendait. Avec la Palme d’or choc de Titane, Julia Ducournau marquait sa place comme figure de proue d’un cinéma de genre exigeant, intellectuel, et féministe. Une Palme d’or extrêmement clivante, perçue au choix comme un sous-Cronenberg vain ou comme un film-monstre sur les stéréotypes de genre et l’amour filial, et qui faisait de son troisième film un retour forcément risqué.
Si Julia Ducournau avait creusé son sillon avec le genre du body horror dans ses premiers films (et dont elle s’en éloignait déjà avec Titane en l’amenant sur un terrain moins graphique et plus intellectualisant), elle semble s’en affranchir définitivement dans Alpha, qui prend un virage plus poétique tout en conservant sa noirceur originelle. Alpha, c’est le nom de l’héroïne (Mélissa Boros), une adolescente vivant dans un monde asséché et poussiéreux, où un virus incontrôlable transforme ses victimes en statues de pierre. Alors que sa mère (magnifique Golshifteh Farahani) est persuadée qu’elle a été contaminée à la suite d’un tatouage fait en soirée, toutes deux accueillent Amir (Tahar Rahim), l’oncle d’Alpha, addict décharné, tendre et incandescent.
© MANDARIN & COMPAGNIE KALLOUCHE CINEMA FRAKAS PRODUCTIONS FRANCE 3 CINEMA
Métaphore filée de l’épidémie du sida et de sa terreur, film-fantôme plutôt que film de monstres, Alpha puise ouvertement dans l’intimité de la réalisatrice, qui déclare livrer ici son film le plus personnel. Et ça se sent : sa réalisation prend une tournure particulièrement sombre et désespérée, dans une palette grise et bleuâtre, qui fait mouche une bonne partie du film par sa charge poétique. Pourtant, à force de vouloir filer la métaphore, Julia Ducournau finit par nous perdre : scénario erratique, structure bancale, film à trous, Alpha privilégie le poétique plutôt que son récit pour se rattraper dans un final extrêmement solennel qui, à force de rattraper les wagons, tombe un peu à côté.
Film sur le deuil, sur le souvenir traumatique et sur la nécessité de laisser partir nos morts, Alpha est certes bancal, confus, parfois trop grandiloquent, mais il laisse une marque pérenne par ses images désespérées, par son travail visuel sur la mélancolie comme on ne l’avait jamais vue. Et il est aussi loin de mériter la virulence de ses réceptions critiques, dont certaines flirtent allègrement avec la satisfaction misogyne de lyncher une réalisatrice palmée.
MARIANA AGIER
Alpha
Réalisé par Julia Ducournau
Avec Mélissa Boros, Tahar Rahim, Golshifteh Farahani
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2025.
Alpha, 13 ans, est une adolescente agitée qui vit seule avec sa mère. Leur monde s’écroule le jour où elle rentre de l'école avec un tatouage sur le bras.
En salles me 20 août 2025.