COMME A LA MAISON - Août 2022
Fini les sempiternels « Qu’est ce qu’on regarde ce soir ? » et les longues errances sur Netflix ! Chaque mois, on vous propose quelques recommandations de films disponibles en VOD ou SVOD à travers une thématique féministe, et/ou avec une femme derrière la caméra. Une chose est sûre, il y en aura pour tous les goûts.
Au programme ce mois-ci : des territoires très différents, allant de la scène pop à une cité de banlieue, en passant par la campagne japonaise, une secte isolée dans l’Utah et une manifestation française pour le droit à l’avortement.
LA RECOMMANDATION DE… LISA
Pussy, Pleasure, Power ! Le désir féminin dans la pop culture - Nicole Blacha - 2022 - disponible sur Arte.tv jusqu’au 05/09/2022
Synopsis : Alors que le plaisir féminin occupe une place de plus en plus importante dans la chanson pop, comment les femmes reçoivent-elles ces messages de "sexualité positive" et sans tabou ? Éléments de réponse dans ce documentaire qui célèbre l’intime.
Arte vous veut du bien ! La chaîne déroule son mythique programme de l’été avec « Summer of Passion » et propose une sélection de films de fiction, de documentaires et de concerts. Au milieu de ce beau monde, la réalisatrice Nicole Blacha, dégaine fièrement le documentaire Pussy, Pleasure, Power ! Elle s’y intéresse aux sexualités et à la sexualisation féminine dans la pop culture, spécialement dans l’industrie musicale. Avec l’aide d’intervenantes et d’invités (musiciennes, chanteuses, autrices,...) Nicole Blacha questionne l’émancipation des femmes dans ce milieu au fil des décennies. Patriarcat, sexisme et capitalisme ne sont jamais bien loin et continuent d’entraver les corps et les paroles des artistes féminines, qui ont tout de même réussi à se réapproprier les codes de cette industrie et les contrer en luttant en musique. Explicites ou métaphoriques, elles revendiquent le plaisir féminin, le plaisir solitaire, la sexualité libre et assumée et l’orgasme féminin. Un documentaire jouissif à regarder sur le champ.
LA RECOMMANDATION DE… LAURA
Souvenirs goutte à goutte - Isao Takahata - 1991 - disponible sur Netflix
Synopsis : Une jeune japonaise de 27 ans, tokyoïte, retourne vers sa campagne natale et traverse le Japon, se remémorant son enfance.
En 2020, l’intégralité du catalogue Ghibli est arrivé sur Netflix. Avec lui, le film le moins connu de Isao Takahata, Souvenirs goutte à goutte, resté inédit en France pendant de longues années. Nous y suivons Taeko, vingt sept ans. Elle vit à Tokyo, où elle travaille dans une grande entreprise. Mais quand elle peut prendre quelques jours de vacances, elle part avec plaisir à la campagne, travailler sur les terres de la famille de son beau-frère. Cet été 1982, alors qu’elle récolte le carthame (une fleur réputée pour la teinture des vêtements), elle repense à son enfance, à l’année 1966 en particulier. Taeko avait dix ans. Le film se construit grâce aux flash-back de l’héroïne, où nous découvrons le Japon des années 60, avec l’arrivée des mini-jupes et des Beatles, dans un pays qui oscillait entre la tradition et une modernité importée de l’étranger. Le principe de flash-back est ingénieux et sert au réalisateur pour interroger notre regard, notamment sur la campagne, du point de vue d’une citadine. Les flash-back permettent également d’aborder l’enfance, ses difficultés comme ses moments de grâce (les premiers émois amoureux, l’arrivée des menstruations, etc…). Morceau d’une vie, Souvenirs goutte à goutte retranscrit à travers son héroïne les profonds changements du Japon d’après-guerre.
LA RECOMMANDATION DE… MANON
Keep Sweet : prie & tais-toi - crée par Rachel Dretzin - 2022 - disponible sur Netflix
Synopsis : Cette série documentaire se penche sur l'ascension et les crimes de Warren Jeffs, le dirigeant de l'Église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours.
A l’image de Youtube sur lequel le true crime est en vogue, Netflix regorge de séries documentaires sur des sectes et leurs gourous, à la qualité souvent variable. Au premier abord Keep Sweet : prie et tais-toi n’apporte rien de formellement plus intéressant qu’une autre création de la même recette mais elle est assez bien montée, ne donne jamais la sensation de glorifier un monstre et dispose surtout d’un sujet brulant. Peu présents sur le territoire français, les mormons sont parfois liés, dans l’inconscient collectif de l’hexagone, à la polygamie. L’origine de cette idée vient de ceux qui se font appeler les fondamentalistes, une petite branche largement rejetée par l’immense majorité. Ce curieux groupe coche tous les clichés de la secte parfaite : un texte saint à suivre, des pratiques désapprouvées par le reste de la société et la pente de plus en plus glissante vers un immense désastre pour la condition des femmes, déjà peu joyeuse. Si vous avez l’impression qu’il manque quelque chose c’est normal : la série présente, à travers le témoignage de victimes, l’ascension du gourou Warren Jeffs. Les trames choisies mettent l’accent sur l’empathie envers les femmes victimes de cet enfer, allant jusqu’à faire d’une rescapée, l’héroïne d’un grand drame romantique. Keep Sweet : prie et tais-toi n’est pas trop complaisante mais très pédagogue pour celleux qui ne connaissaient pas du tout ce mouvement fondamentaliste : c’est parfois difficile à regarder en raison du sujet mais c’est surtout à voir en guise d’introduction sensible à ce dernier.
LA RECOMMANDATION DE… AMANDINE
Y’a qu’à pas baiser ! - Carole Roussopoulos - 1971 - disponible sur Tenk
Synopsis : 1971, une femme prend la décision de ne pas garder l’enfant qu’elle porte alors que l’avortement est encore illégal en France. Le film alterne la séquence de son avortement clandestin et des images de la première manifestation de femmes en faveur de l’avortement et de la contraception qui a lieu à Paris le 20 novembre 1971.
Dès les années 70, Carole Roussopolous s’est immiscée au coeur des mouvements sociaux avec sa Sony Portapak et a contribué à documenter les luttes féministes. Après un passage télévisé d’un médecin pro-vie qui dénonce un “marché commun de l’avortement”, Y’a qu’à pas baiser ! prend une tournure plus joyeuse et suit la première manifestation des femmes en faveur de la contraception et de l’avortement. Mais dès lors que le film aborde le plaisir féminin avec une étonnante décomplexion, il devient révolutionnaire. En montrant frontalement un avortement avec bienveillance et pédagogie, le film brise tous les tabous et fait état d’un vrai moment de sororité commet rarement on a pu en voir à l’écran. Un documentaire d’utilité publique, qui résonne tristement avec l’actualité politique et qui rappelle que cinquante ans plus tard, les droits des femmes sont toujours fragiles.
LA RECOMMANDATION DE… MARIANA
Vers la tendresse - Alice Diop - 2016 - disponible sur MUBI
Synopsis : Vers la tendresse est une exploration intime du territoire masculin d’une cité de banlieue. En suivant l’errance d’une bande de jeunes hommes, nous arpentons un univers où les corps féminins ne sont plus que des silhouettes fantomatiques et virtuelles.
La regrettée Bell Hooks l’avait déjà dit, « les féministes n’ont plus peur d’aborder ouvertement la question des hommes, de la masculinité et de l’amour » - un sujet auquel l’autrice avait dédié l’entièreté de son ouvrage La volonté de changer en 2003. C’est précisément le sujet auquel s’intéresse Alice Diop avec Vers la Tendresse, qui obtient en 2017 le César du meilleur court-métrage. En échangeant avec quatre hommes dits « de banlieue » sur le sexe et l’amour, la réalisatrice sonde l’intimité de leur masculinité en allant par-delà le refoulement émotionnel. En filigrane rôde la figure de la « fille facile », entre mépris, fascination, et une peur plus intime de la sexualité libérée. Loin de tout stéréotype, Alice Diop s’empare à pleines mains des notions de classe et de race pour revenir sur les fondements psychologiques de la virilité, et questionner la possibilité d’une tendresse, là où ce ne serait « que les blancs qui connaissent l’amour ».