COMME A LA MAISON - Mai 2023
Fini les sempiternels « Qu’est ce qu’on regarde ce soir ? » et les longues errances sur Netflix ! Chaque mois, on vous propose quelques recommandations de films ou séries disponibles en VOD ou SVOD à travers une thématique féministe, et/ou avec une femme derrière la caméra. Une chose est sûre, il y en aura pour tous les goûts.
Ce mois-ci, c’est un tour du monde avec cinq films venus de quatre coins du globe. En Espagne, les héroïnes d’Almodovar se lancent dans une odyssée vengeresse pendant qu’au Japon, Mitsuko de Tempura voit une issue à sa solitude. Aux USA Elizabeth Moss fait face à des phénomènes paranormaux, en France une certaine Madame Beudet veut s’affranchir de son mari, puis on remet en lumière le portrait de Mbissine Thérèse Diop, premier visage du cinéma africain.
LA RECOMMANDATION DE… ALICIA
Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier - Pedro Almodóvar -1980
Disponible en accès libre sur Arte.tv jusqu’au 15/10/2023
Synopsis : Après avoir été violée par un agent de police lors d’un contrôle, Pepi, figure de la communauté underground madrilène, se lance dans une odyssée vengeresse aux côtés de son amie Bom, musicienne punk lesbienne, et l’épouse méprisée et délaissée du policier, Luci.
Alors que Pedro Almodovar sera mis à l’honneur ce mois-ci par le Festival de Cannes avec la projection de son nouveau court métrage Strange way of life avec Ethan Hawk et Pedro Pascal (que nous avons évidemment ici très hâte de découvrir), on vous invite à replonger dans son tout premier film, l’irrévérencieux Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier.
Formellement, vous ne retrouverez pas la précision de mise en scène du Almodóvar que vous connaissez, dont le style ne s’affine vraiment qu’à partir de La Loi du désir (1986). Pepi, c’est un véritable geste punk ! Tourné en quasi-amateurisme, le film est institué dès sa sortie comme une œuvre étendard de la Movida, grand mouvement d’effervescence culturelle dans l’Espagne post-franquiste. Créé par un Almodóvar autodidacte, à l’époque plus connu comme chanteur de glam-rock parodique que vidéaste sur la scène madrilène, le film retranscrit sur pellicule toute l’énergie d’une jeunesse avide de liberté. Liberté créatrice, liberté face à l’ordre établi et au patriarcat, et surtout liberté sexuelle. Malgré les drames (le film s’ouvre tout de même sur un viol), passion et amusement sont les maîtres mots de la communauté. Très loin des codes du « rape & revenge », Pepi, Luci, Bom est ainsi davantage une odyssée sexuelle et libertaire qu’une odyssée vengeresse pour ses trois personnages principaux. Almodóvar donne ainsi une voix joyeuse aux marginales, aux communautés queers et aux femmes, exagérant le trait en jouant de diverses provocations, notamment avec des scènes sexuelles débridées et outrancières comme une fameuse séquence de golden shower entre copines.
Certes imparfait, le film est un geste chaotique et flamboyant qui inaugure de manière jubilatoire la filmographie d’Almodóvar, révélant au passage la géniale Carmen Maura dans le rôle de la délurée Pepi, future grande muse du cinéaste.
LA RECOMMANDATION DE… MANON
Tempura - Akiko Ohku - 2020
Synopsis : A 31 ans, Mitsuko a toujours eu quelques difficultés avec les relations humaines. Perdue dans un Tokyo trop grand pour elle, elle se réfugie dans des cours de cuisine dont elle peaufine les recettes au sein de son petit appartement. Elle y trouve aussi le réconfort… de sa voix intérieure, avec qui les échanges ne sont pas toujours simples ! Jusqu’au jour où elle rencontre au bureau un homme plus jeune qu’elle.
Arrivé en France en 2022 avec une affiche pétillante, Tempura semblait être une comédie romantique ordinaire. Les personnes qui ont cependant eu la chance de découvrir le film en salles ne sont plus dupes. Sous la romance et malgré quelques longueurs, se cache une vraie proposition formelle, inventive, et le portrait d’un esprit troublé puisque Mitsuko est poursuivie par son anxiété sociale. Une telle intensité dramatique, apportée à la fois par les troubles de Mitsuko et par une société qui ne fait que souligner la solitude, est aussi rare que précieuse.
Mais si Tempura parle de souffrance, c’est aussi pour la guérir car c’est un film aussi bouleversant qu’il fait du bien. En mettant en lumière un personnage féminin ouvertement si sensible et névrosé mais qui ne se refuse pas à l’amour, Akiko Ohku apporte quelque chose de très rafraichissant.
LA RECOMMANDATION DE… LISA
Notre Mémoire - Johanna Makabi (12min) - 2021
En accès libre sur HENRI, plateforme de la Cinémathèque Française, jusqu’au 26/12/2023)
Synopsis : Mbissine Thérèse Diop fut la comédienne principale du premier film d'Ousmane Sembène, La Noire de... Jeune étudiante en cinéma d'origine sénégalaise, j'ai découvert son visage sur le grand écran. Nous revenons ensemble sur son expérience d'actrice noire dans les années 1960.
« Lorsqu’une personne âgée meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». En citant l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ,la réalisatrice, scénariste et productrice franco-sénégalo-congolaise, Johanna Makabi annonce le motif de son court-métrage : la transmission inter-générationnelle. Elle remet en lumière la comédienne Mbissine Thérèse Diop et lui redonne une parole trop longtemps ignorée. Celle qui fut le premier visage du cinéma africain et l’héroïne tragique du premier long-métrage de fiction (La Noire de…, 1966) du réalisateur et écrivain sénégalais Ousmane Sembène revient avec Makabi sur ses expériences de cinéma pour contrer l’oubli et la perte de mémoire. Ce sont deux générations qui partage la caméra. Devant, une gloire d’un cinéma d’hier presque éteint car faute de reconnaissance et derrière, une jeune réalisatrice d’une génération d’afro-descendants en quête de racines, d’images et de représentations trop longtemps invisibilisées. Makabi pose sa caméra en amie, presque contre l’épaule de Mbissine Thérèse Diop. Elle entre dans son intimité comme une petite-fille viendrait déjeuner avec sa grand-mère, avec une caméra douce et attentive. Cette proximité est dû à la vraie relation qu’ont noué les deux femmes au fil de leurs rencontres. Malicieuse, Diop laisse paraître plusieurs visages sous le regard de Makabi, la sagesse et la gravité se mêlant souvent à une joie non feinte de partager son passé et de regarder droit dans la caméra de cette jeunesse en recherche de son histoire.
LA RECOMMANDATION DE… MARIANA
Invisible Man - Leigh Whannell - 2020
Disponible sur Netflix
Synopsis : Cecilia Kass est en couple avec un brillant et riche scientifique. Ne supportant plus son comportement violent et tyrannique, elle prend la fuite une nuit et se réfugie auprès de sa sœur, leur ami d'enfance et sa fille adolescente. Mais quand l'homme se suicide en laissant à Cecilia une part importante de son immense fortune, celle-ci commence à se demander s'il est réellement mort. Tandis qu'une série de coïncidences inquiétantes menace la vie des êtres qu'elle aime, Cecilia cherche désespérément à prouver qu'elle est traquée par un homme que nul ne peut voir. Peu à peu, elle a le sentiment que sa raison vacille…
Depuis quelques années, le terme de « feminist horror » est progressivement entré dans le langage cinématographique, tout aussi controversé soit-il, et regroupe des œuvres qui utilisent le registre horrifique pour représenter l’oppression des femmes et les violences sexistes et sexuelles. Des œuvres comme The Witch, A Girl Walks Home Alone at Night ou Ginger Snaps mobilisent et pervertissent les codes des différents sous-genres horrifiques, pour représenter l’expérience vécue par les femmes des violences sexistes, et créer un cadre cinématographique ou les victimes peuvent retourner la violence contre leurs agresseurs. Dans cette veine, Invisible Man de l’acteur et réalisateur australien Leigh Whannell représente un exemple plutôt efficace de cette mobilisation du registre horrifique. Avec l’iconique Elizabeth Moss dans le rôle principal, Invisible Man nous raconte l’histoire de Cecilia, une jeune femme qui parvient à s’échapper en secret d’une relation violente. Lorsqu’on lui annonce que son conjoint s’est suicidé après son départ, elle devient l’objet d’une étrange persécution invisible : comme si, après la mort, son bourreau la hantait toujours… Ici, Leigh Whannell s’empare des violences conjugales, de l’emprise et du stress post-traumatique pour construire un récit horrifique et psychologique efficace, qui offre à son personnage la possibilité d’affronter, enfin, le fantôme qui la persécute.
LA RECOMMANDATION DE… ÖYKÜ
La Souriante Madame Beudet - Germaine Dulac - 1923
Disponible sur MUBI
Synopsis : Mme Beudet passe sa vie dans un mariage malheureux, avec un mari qui prend un étrange plaisir de la torturer en faisant mine de se suicider avec son revolver. Ne trouvant la consolation que dans son piano et ses rêves, elle décide un jour de s’affranchir de sa prison conjugale par une décision qu’elle regrettera aussitôt.
Présenté dans la sélection « Ouvrir la voie : pionnières du cinéma » sur MUBI France, ce classique du cinéma impressionniste signé par Germaine Dulac marque sans doute le premier exemple de la critique féministe vis-à-vis de la vie domestique des femmes au cinéma. Joueuse experte des effets tels que des fondus, des surimpressions ou des iris, Dulac transforme la chambre conjugale en un espace liminal où le réel et l’imaginaire, le rêve et le cauchemar se confondent. Face à ces oscillations qui enferment sa vie dans un cycle répétitif infernal, le personnage titulaire du film finit par passer à l’acte pour assumer ses fantasmes. Mais nous sommes encore dans les années 20 et la décision de la pauvre Madame Beudet, qui lui revient avec plein de remords, ne lui permet finalement pas de briser ce cycle. La fin subitement ironique proposée par Germaine Dulac laisse derrière un goût amer au regard des sorts des femmes, mais nous rappelle aussi l’image d’une autre femme, cette fois-ci dans les années 70 à Bruxelles : une femme qui voulait aussi briser les chaînes de son existence et qui a majestueusement réussi.