FORMAT COURT - Bilan
Le court-métrage est un passage pratiquement obligé pour tout réalisateur‧ice. Le format, généralement beaucoup moins coûteux que le long-métrage, constitue un premier travail à travers lequel on assiste parfois à la présentation d’un talent à suivre. Le court-métrage peut aussi convenir à des cinéastes passés au niveau supérieur, qui souhaitent développer un thème en quelques minutes, ou bien expérimenter de nouveaux éléments avant de les introduire sur un film plus long. On peut se désoler de ne pas voir les court-métrages suffisamment mis en valeur, même si des cycles sont parfois prévus à la télévision ou que des chaînes comme Arte proposent régulièrement des sélections sur leur site internet. L’autre Graal pour ces films sont les festivals. Ils permettent une diffusion généralement sur grand écran des œuvres et offrent aux petits nouveaux la possibilité d’être repérés.
Organisé par le magazine en ligne du même nom, le festival Format Court est revenu cette année du 23 au 28 novembre au Studio des Ursulines (Paris Vème) pour sa troisième édition. Son objectif était de mettre en valeur des courts hétéroclites et internationaux, avec des prises de vue réelles, de l’animation, de la fiction comme du documentaire. La programmation de Format Court était très dense, avec deux cycles présentés chaque jour de la semaine. On y retrouvait des focus sur des institutions du cinéma (comme l’Agence du court-métrage et La Fémis) et des séances de films en compétition.
L’évènement a commencé avec une cérémonie d’ouverture en présence de Swann Arlaud, parrain de cette édition 2021. L’acteur, à la filmographique remarquable, rappelait son attachement pour le court-métrage et sa double casquette de réalisateur, en présentant Venerman, écrit et réalisé par Tatiana Vialle (qui n’est autre que sa mère). Le film avait déjà été sélectionné au Festival de Brest en 2018. L’œuvre suivante est cependant celle qui nous a plus touché de la soirée. Swann Arlaud y figurait cette fois en tant qu’interprète. Dans Gros Chagrin de Céline Devaux, le personnage de l’acteur fait face à une rupture amoureuse, sous un angle plutôt humoristique. Le procédé plastique, assez pertinent, ne laisse vivre ni moquerie, ni pathos. Les prises de vues réelles sont emmêlées dans de l’animation, pour retranscrire l’intériorité d’un homme en proie au manque, au doute, et à toutes les émotions que l’on peut rencontrer lorsque l’être cher a choisi de quitter notre vie commune.
Une compétition prometteuse
Le niveau de la compétition était particulièrement élevé. Nous avons sélectionné quelques œuvres réalisées par des femmes ou minorités de genre, afin de mettre en lumière le travail de celleux que nous défendons avec Sorociné. Elles ne constituent néanmoins d’une partie de tout ce qui a pu être proposé dans cette vaste catégorie.
Notre premier coup de cœur de la compétition a été le court-métrage d’animation Mom, de Kajika Aki Ferrazzini. Cette dernière a effectué un travail impressionnant en construisant pratiquement seule son film – et le résultat vaut le détour. Dans Mom, une fillette court pour échapper à une meute de chasseurs, dans un univers . Son trajet est retransmis en direct à la télévision, dans ce qui semble être un futur proche, alors les pensées de la victime convoquent le souvenir d’une mère.Mommêle, avec onirisme, un passé doux et intime avec un futur impitoyable. Le dessin en 2D par ordinateur permet la construction et la déconstruction constantes des univers, tous représentés sous des prismes esthétiques prononcés. Le passé est la vision poétique d’un souvenir, le présent oppose la violence à une nature sombre mais douce, le futur, composé d’écrans et de béton, reste froid et énigmatique. Le résultat est un peu brouillon mais son absence de clarté est sans doute aussi ce qui nourrit son impact purement émotionnel. Le court-métrage, déjà sélectionné au dernier Festival d’Annecy, touche en plein cœur, sans même que l’on sache exactement pourquoi.
La plupart des films présentés avaient été hautement remarqués par le passé. C’est notamment le cas de L’Homme silencieux de Nyima Cartier, pré-sélectionné aux César 2022. Le court-métrage prend place au sein d’une tour de la Défense. Un homme observe, depuis la fenêtre de son bureau, un de ses anciens collègues qui vient tout juste d’être licencié. Il n’a, dit-on, jamais effectué la moindre tâche pour l’entreprise en trois mois. L’homme se demande s’il doit descendre pour aider l’ancien salarié qui reste toute la journée, puis la nuit, et ainsi de suite, en bas de la tour, dans le froid. L’Homme silencieux est probablement un des films les plus formellement intéressants du festival, sa mise en scène est impeccable. Chaque plan joue habilement sur la notion de point de vue, de placement et de distance, tandis qu’on ne voit jamais le visage de ceux qui observent, ni même le visage de celui qui dort dans le froid. Les humains ne sont que des voix ou des silhouettes dans l’indifférence totale d’un monde austère qui continue d’avancer. Si cet énoncé peut sembler un peu simpliste, le résultat est loin de l’être car chaque idée est retranscrite avec un minimalisme formel savamment étudié.
La dernière œuvre que nous tenions à présenter avant de revenir sur le palmarès de cette édition de Format Court est La Chamaded’Emma Séméria. Une adolescente a des vues sur un garçon plus âgé, qui s’intéresse également à elle. Elle craint cependant de se ridiculiser en embrassant mal, puisqu’elle ne l’a jamais fait avec la langue. Elle demande à son meilleur ami si elle peut s’entraîner avec lui. Ce qui fait la force de La Chamade est, outre le jeu des jeunes comédiens, sans doute la représentation d’un court moment qui suffit à faire grandir ses personnages. Si le film gagnerait à se départir d’un élément scénaristique un peu lourd, il pose un regard juste sur l’adolescence, à travers des dialogues qui représentent toute la gêne et la tendresse que l’on peut ressentir à cet âge. La Chamade est à la fois doux et pudique, par les hésitations de ses protagonistes, que naturaliste et sensoriel. La jeune fille mange de la pâte à tartiner avec les doigts puis embrasse timidement un garçon alors que le soleil se couche. On passe d’une sensation collante et enfantine aux prémices d’une grâce nouvelle.
Le palmarès
Plusieurs prix ont été remis à l’issue de cette semaine de projections. Format Court proposait plusieurs jurys : un Jury professionnel, un Jury presse, un Jury jeune et un prix du public. On a pu retrouver, dans la liste de récompenses, quelques œuvres correspondants à notre ligne éditoriales, à commencer dans les choix du Jury professionnel.
Après un grand prix revenu Nuits sans sommeil de Jérémy Van Der Haegen, ce premier jury a accordé le prix d’interprétation à Ariane Naziri pour sa performance dans Pedar de Mandana Ferdos, un film réalisé par une femme et traitant de la condition féminine. Le contexte est un peu atypique puisqu’il s’agit d’un documentaire, dont les images sont reproduites de toutes pièces, sur le témoignage réel d’une jeune femme iranienne, qui ne souhaitait pas être filmée. Pedar évoque la difficulté à se détacher complètement de l’emprise du paternalisme, même après avoir fui son pays pour poursuivre sa carrière. Le procédé du film, qui joue sur un décalage constant entre l’image et le son (dissonance – ou pas), contribue à la création d’une omniprésence anxiogène. Outre l’interprétation justement récompensée, on salue cette créativité formelle et, de manière générale, la qualité globale du court-métrage. Un autre prix d’interprétation a été remis à Ayman Rachdane dans Le Départ de Saïd Hamich, avec une mention spéciale pour l’ensemble des acteurs et actrices du film. Le prix de l’image est allé à Guillaume Delsert et Raphaëlle Petit-Gille pour Hadrien et Nathalie de Philibert Gau.
Enfin, c’est Lucas Verreman et Antoine Boucherikha qui ont gagné le prix de la création sonore pour Hold me tight, de le‧a réalisateur‧ice Léo Robert-Tourneur. Le film d’animation met en scène deux êtres sauvages qui se rencontrent au cours d’une partie de chasse et s’accouplent le temps d’une nuit. Hold me tight se concentre avec précaution sur le spectacle audiovisuel autour du désir charnel, c’est ce qui fait la force mais constitue également les limites du film. Son approche queer (les êtres ne semblent pas genrés) offre cependant la représentation d’un désir universel, qui n’a pas de barrières de sexe, ou même de genre et s’inscrit comme réponse sensorielle à des questions actuelles. Enfin, pour commenter strictement le choix du prix accordé, on confirme que la création sonore est effectivement incroyable.
De son côté, le Jury presse a attribué son prix à Maalbeekde Ismaël Joffroy Chandoutis, avec une mention spéciale pour Bestiade Hugo Covarrubias. Le Jury jeune a choisi Sprötch de Xavier Seron et a également tenu à attribuer une mention spéciale, cette fois à Sidéral de Carlos Segundo.
Le public a attribué son prix à Frère et sœur, de la réalisatrice Coralie Lavergne. Le film présente une relation entre un frère et une sœur, issus d’une famille dysfonctionnelle. Lui a eu un enfant jeune, il s’en occupe seul. Elle, arrive avec l’objectif de se rapprocher de son frère et voit en son neveu l’occasion de renouer des liens. Si la direction du petit garçon est géniale, l’ensemble de l’œuvre reste trop convenu pour dépasser le simple exercice.
Les trois jurys avaient un prix Alice Guy à décerner en commun à la meilleure réalisatrice. C’est Naïla Guiguet qui a remporté la récompense pour son court-métrage Dustin. Le film avait déjà été remarqué en 2020, par la Semaine de la Critique. Dustin, dont l’acteurice porte le même nom que le personnage, suit une personne transgenre lors d’une soirée techno dans laquelle son petit-copain, gay, embrasse un autre homme. Dustin comprend que leur relation est en train de disparaître, peut-être en raison de son genre, alors qu’eux et leurs amis terminent la soirée dans un appartement, au petit matin. Malgré un postulat mélancolique plutôt séducteur, le film a néanmoins le défaut de se reposer sur l’identité de son interprète et son univers techno plutôt que de construire l’intériorité de son personnage. L’enrobage est très bruyant, les scènes révélatrices le sont moins.
La diversité des court-métrages présentés lors de cette édition de Format Court a témoigné d’une industrie riche de ses talents. Nous avons pu observer des cinéastes souhaitant aborder des questions féministes, queer ou tout à fait différentes. Nous avons découvert l’intimité de personnages en proie à des sentiments amoureux comme nous avons côtoyé les regards des salariés du haut des tours de la Défense. Pour découvrir davantage d’œuvres ou espérer voir un jour certains éléments de ce festival, on peut se rattraper sur les programmes télévisés Histoires courtes sur France 2, Libre court sur France 3 ou Court-circuit sur Arte. D’autres chaînes payantes comme Canal +, proposent aussi des sélections de court-métrages.