PRIMA LA VITA - Francesca Comencini
Copyright Pyramide Distribution
Le cinéma de père en fille
Francesca Comencini plonge dans ses souvenirs pour évoquer la relation avec son père, le cinéaste italien Luigi Comencini, dans un film émouvant doublé d’un hommage au cinéma.
Dans la famille Comencini, le cinéma se transmet de père en filles. Après Luigi, ses filles Cristina et Francesca ont repris le flambeau et sont devenues cinéastes à leur tour, leur sœur Paola est cheffe décoratrice et a signé les décors du film, Eleonora, elle, est directrice de production. Quarante ans après son premier film Pianoforte, Prix De Sica à la Mostra de Venise, la réalisatrice et documentariste Francesca Comencini se penche sur sa relation avec son père disparu en 2007, de son enfance sur les plateaux à la réconciliation à l’âge adulte, en passant par sa jeunesse en opposition à la figure paternelle. Prima la vita – littéralement « d’abord la vie » – est un hommage à Comencini, d’abord père avant d’être cinéaste.
On découvre père et fille sur le tournage des Aventures de Pinocchio, que Luigi Comencini rêvait d’adapter depuis toujours. Il a 56 ans, elle en a 11. De son court métrage Enfants dans la ville (1946) à Un garçon de Calabre (1987) en passant par son monument d’émotion L’incompris (1967), il a placé l’enfance au cœur de son œuvre. Pinocchio, adaptation du roman italien et portrait de l’enfance pauvre du XVIIème siècle, en fait partie. Pour évoquer ses souvenirs, Francesca Comencini se penche sur l’enfant qu’elle était et se met à sa hauteur, comme son père l’avait fait avant elle. On découvre une enfant timide et peu sûre d’elle, moquée par ses camarades de classe. Sur le tournage de Pinocchio, elle panique quand elle est figurante ; quand elle ne l’est pas, elle se retrouve dans le champ et empêche son père de capter la lumière de fin de journée tant recherchée. À travers son alter ego enfant, Francesca Comencini raconte les difficultés à être la « fille de ». Comment trouver sa place quand on est la fille d’un des plus grands réalisateurs italiens, couronné de succès ?
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Cette relation en recherche constante d’équilibre, la réalisatrice a choisi de la mettre en scène à travers un monde imaginaire, marqué par l’absence totale de personnages secondaires – pas de mère ni de sœurs présentes ici –, et par les rêves et cauchemars de la petite fille, effrayée par la baleine qui engloutit le pantin de bois. Dans ce monde parallèle, seul le contexte politique interfère : les personnages évoluent en plein dans les années de plomb et les attentats, qui scandent le film, racontent l’évolution de leur relation. D’abord déplorés par le père (le formidable Fabrizio Gifuni) alors que Francesca est enfant et ne comprend pas, ils sont ensuite soutenus par elle, désormais adolescente (Romana Maggiora Vergano, découverte dans Il reste encore demain). Ce monde fantasmé, sorte de tombeau peuplé des souvenirs habités par la présence du père, est l’une des plus belles idées du film pour raconter cette relation unique, faite d’apprentissage l’un de l’autre. Car plus la petite Francesca grandit et peine à trouver sa voie dans l’ombre de son père, plus les deux s’éloignent. Évitant soigneusement l’apologie, la cinéaste n’élude pas les contradictions de son père, aimant les enfants mais s’éloignant de sa fille adolescente, doux avec les autres mais exigeant avec elle.
Comme un hommage aux films aimés du père, Rossellini, Pialat et Pabst peuplent ce tombeau, passion transmise comme un virus à sa fille par celui qui a sauvé des centaines de films muets et fondé la Cinémathèque de Milan. L’émotion culmine dans une scène où Luigi raconte L’Atlantide de Pabst à sa fille – premier film découvert par le réalisateur alors enfant et fils d’immigrés à Agen –, qui se mettent alors à crier la réplique culte du film devant la Seine. Une réconciliation père-fille, qui passe aussi par le cinéma. « Prima la vita, poi il cinema ! »
ESTHER BREJON