IL RESTE ENCORE DEMAIN - Paola Cortellesi
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Véritable phénomène en Italie, où il a été vu par plus de cinq millions de personnes et est entré en résonance avec un énième féminicide, le film de Paola Cortellesi est pourtant trop appuyé pour convaincre. Preuve que les bonnes intentions ne suffisent pas à proposer du bon cinéma.
Il est des films remarquables par leur seule réception. Et indéniablement, Il reste encore demain est de ceux-là. Dans l’Italie de l’extrême droitière Giorgia Meloni, cette même Italie qui se détourne du cinéma (la fréquentation a diminué de moitié depuis 2019), cinq millions de personnes sont allées voir le premier long métrage de Paola Cortellesi en quatre mois. Mieux qu’Oppenheimer et Barbie, mieux, aussi, que La vie est belle de Roberto Benigni en son temps. L’arrivée sur grand écran de l’histoire de Delia, quinquagénaire victime de violences conjugales, a percuté de plein fouet une triste actualité en novembre dernier : le féminicide d’une étudiante de 22 ans, Giulia Cecchettin, enlevée et tuée par son ex-compagnon. La société italienne a reconnu dans le film le reflet de son machisme latent et, rien que pour cela, on peut se réjouir de l’existence d’Il reste encore demain.
Ce que l’on peut regretter, en revanche, c’est que le phénomène de société prenne le pas sur le cinéma. Paola Cortellesi dit s’être inspirée de l’histoire de sa grand-mère pour raconter celle de Delia, cognée tous les jours par son mari, Ivano. Nous sommes en 1946, l’Italie est sortie exsangue de la Seconde Guerre mondiale, les soldats américains patrouillent encore dans les rues et les fascistes ne sont pas tous conscients d’avoir perdu. Quand Delia ne subit pas les coups, ce sont les brimades, les humiliations, les viols. Le reste du temps, cette mère courage court d’un petit job à un autre pour faire bouillir la marmite, tente de maîtriser deux jeunes garçons tout droit partis pour suivre la violence de leur père, subit aussi les attouchements de son beau-père. Seul motif d’espoir : sa fille aînée, Marcella, va se fiancer avec un jeune homme beau, riche et respectueux, tout ce qu’Ivano n’est pas. Du moins le croit-elle.
Il reste encore demain souffre d’abord de facilités d’écriture qui lui donnent des airs de notice d’utilisation du féminisme à destination de sociétés patriarcales. Le mari violent n’est que violent, les enfants insupportables ne sont qu’insupportables, le beau-père ajoute à la longue liste de ses défauts la nostalgie de Mussolini et même Marcella enfonce sa mère. Paradoxalement, poser une figure christique et doloriste au milieu d’un environnement qui n’est qu’affreux, sale et méchant ne permet pas d’exposer les mécanismes de l’emprise. Difficile, aussi, de passer sur les incohérences scénaristiques, notamment l’alliance de Delia avec un G.I. américain alors qu’ils ne comprennent pas un traître mot de la langue de l’autre.
Pour contrebalancer la noirceur de son histoire et ses personnages, Paola Cortellesi fait le choix d’une mise en scène joyeuse et enlevée, dans un beau noir et blanc hommage au néoréalisme italien. Hélas, le résultat est au mieux trop propre pour convaincre, avec ce petit village si parfait qu’il n’en existe quasiment plus, au pire d’un mauvais goût extrême, comme ces scènes de violence que la réalisatrice a transformées en scènes de danse. On saluerait l’idée de ne pas tomber dans la surenchère si le résultat n’était pas une esthétisation gênante.
Reste alors, au terme d’un film dont la conclusion est surprenante de naïveté, Paola Cortellesi elle-même. L’ancienne humoriste, qui joue le rôle de Delia, lui prête une silhouette fourbue avec une conviction contagieuse. Reste également une bande-son plutôt plaisante, même si l’anachronisme musical est aussi devenu une facilité depuis le Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Oui, Il reste encore demain est un film « à message » nécessaire. Nécessaire, mais pas suffisant.
MARGAUX BARALON