RENCONTRE AVEC ANNE-SOPHIE VERSNAEYEN - Festival de Cannes

“Le moment de l'enregistrement c'est vraiment LA récompense quand on compose. C'est toujours un sublime cadeau et un moment plein d'émotions.”

Anne-sophie versnaeyen - compositrice

Anne-Sophie Versnaeyen est compositrice et autrice de musique. Elle s'ajoute au 6% / 8% de compositrices de cinéma en 2011 où elle signe la composition de son premier long-métrage, Requiem pour une tueuse. Après dix ans de composition, elle est de nouveau à l'affiche avec son binôme cinéaste, Nicolas Bedos pour lequel elle a composé plusieurs fois.

D'abord compositrice de musiques additionnelles et d'orchestration (De rouille et d'os, Un sac de billes, ....) elle est devenue un talent reconnu. En 2019, elle se faisait largement remarqué avec la bande-originale de La Belle époque (nommée aux International Film Music Critics Association), aujourd'hui elle cloture, avec ses notes, la 74ème édition du Festival de Cannes avec le troisième volet de la saga OSS 117.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Anne-Sophie Versnaeyen : J'ai une formation que l'on pourrait qualifier de classique. J'ai commencé à six ans via l'alto, qui est un violon en plus grand et en plus grave. Tout de suite j'ai eu une relation très forte avec la musique. Je ne me suis pas dit à dix ans que je voulais être compositrice mais je sentais que la musique était importante pour moi et qu'elle ferait partie de ma vie.

À l'adolescence j'aimais bien écouter de la musique, prendre mon alto et jouer par dessus. Il y avait déjà une forme de création qui commençait à se profiler. Puis j'ai voulu intégrer le conservatoire de musique de Paris. C'est un concours qui est assez difficile à préparer, je me suis mise beaucoup dedans, j'ai pris des cours. C'est comme si je me préparais déjà, sans le savoir, à la composition.

J'ai eu le concours et cette formation qui durait quatre ans. La dernière année j'ai fait une rencontre déterminante avec un compositeur qui s'appelle Armand Amar qui lui était déjà très établi. Il avait déjà composé pour pas mal de films et c'est comme ça que j'ai commencé à intégrer ce milieu.

Au début, j'ai commencé par faire des orchestrations pour lui et pour d'autres. Il m'a, par la suite, proposé de composer des musiques additionnelles. En parallèle, il y a eu des projets qui me sont venus. Grossièrement ça s'est fait comme ça.

La composition de musique est donc venue plus tardivement ?

A-S. V : Je ne peux pas vraiment dire que ce n'est pas ce que je voulais faire. Par exemple, pendant mes études, je savais que j'avais envie de faire de la musique de films. Je savais que j'avais envie de faire de la composition. Ça s'est concrétisé quand j'ai passé le concours du conservatoire. Probablement parce que je sentais que c'était possible. Ça reste une activité où il n'y a pas de parcours type. Vous pouvez rencontrer 100 personnes et chacun·e aura un parcours différent. Hommes comme femmes. À mon époque il n'y avait pas de formation pour la musique de film mais ça commence à se développer notamment au conservatoire de Lyon.

OSS 117 : Alerte rouge en Afrique Noire de Nicolas Bedos ©Gaumont Distribution

Pour parler un peu plus précisément de votre travail... nous sommes ici au Festival de Cannes pour la présentation de OSS 117 : Alerte rouge en Afrique Noire dont vous composez la musique. Ce n'est pas la première fois que vous travaillez avec Nicolas Bedos...

A-S. V : On s'est rencontré avec Nicolas sur son film Monsieur & Madame Adelman pour lequel j'ai été engagé pour faire de l'orchestration et des arrangements. On eu un bon feeling musical et humain. Il m'a proposé de retravailler avec lui lors de la cérémonie des Molières où il voulait faire un show un peu à l'américaine. On a fait un medley. Ça s'est très bien passé donc on a continué ensemble. Il m'a demandé si je voulais travailler avec lui sur La Belle époque et ça a confirmé notre entente et notre engagement.

Les duos compositeur·rices / cinéastes sont assez importants...

A-S. V : Oui, c'est vrai. Ce qui est assez précieux c'est le langage commun qui s'établi. Parler de musique ce n'est pas facile parce que ça reste un peu abstrait. C'est plus facile de regarder un plan de maison et de dire "on va faire comme ça". La musique est difficile à traduire, à retranscrire et parfois on a pas toujours les mots. Avec Nicolas c'est un peu différent puisqu'il compose aussi donc il a ce langage. Néanmoins il a fallu apprendre à se connaître. Maintenant je sais ce qu'il aime et ce qu'il n'aime pas. Je sais aussi, à travers ses mots, comprendre ses envies.

D'ailleurs, heureusement que la rencontre s'est fait bien avant OSS parce que c'était quand même un film de confinement. Nous avons commencé à travailler ensemble sur le film pendant cette période. On a commencé à travailler sur les musiques pile à l'annonce du confinement. Une découverte humaine en plus d'une découverte musicale, parce qu'on a fait quelque chose de nouveau, aurait été très compliqué. C'est là aussi tout l'intérêt d'une collaboration sur le long terme.

Je donne beaucoup cet exemple mais qui, à mon sens, est parlant. Sur La Belle époque, Nicolas m'avait dit "je ne veux pas de cordes" sous entendu qu'il ne voulait pas d'instruments à cordes. Mais j'ai compris que ce qu'il me disait ce n'était pas "je ne veux pas DU TOUT de cordes" mais plutôt qu'il voulait des cordes discrètes. Il ne voulait pas de thèmes avec des grands violons. Je savais qu'il aimait un mode de jeu particulier qui s'appelle le staccato. C'est l'archet qui fait des notes très très courtes sur la corde, qui frôle la corde. C'est un exemple pour illustrer le langage commun : c'est se connaître et traduire ce que veut dire l'autre. Après c'est sans fin parce qu'on apprend toujours (rires).

Vous mentionnez le confinement... comment avez-vous travaillé pendant cette période ?

A-S. V : La composition de musique de films c'est un peu particulier. C'est une activité qui est plutôt, dans un premier temps, solitaire. On est d'abord face à un ordinateur pour faire ce qu'on appelle des "maquettes". On doit faire écouter avec des faux instruments, qu'on appelle des samples, la musique avant même qu'elle soit enregistrée. Ça s'est de toute façon une phase qui se fait seul·e. On a beaucoup échangé à distance. Ensuite on a pu se voir à la fin du confinement. Il est essentiel de se voir "en vrai" parce que le langage n'est pas le même. La musique peut être joué avec un clavier donc on peut faire des échanges en temps réel.

Monsieur & Madame Adelman de Nicolas Bedos ©Temperclayfilm

Il faut quand même être avec un·e cinéaste qui connaît bien le sujet, non ?

A-S. V : Ici c'est parce que j'étais avec Nicolas mais si j'étais avec un·e autre cinéaste j'aurais aussi fait cette étape d'écoute. La précision des retours n'aurait pas été la même, surtout que Nicolas est pianiste aussi donc il aurait pu rejouer, mais grâce au dialogue on aurait pu se comprendre quand même. Ça aurait été à moi de retranscrire les retours.

Sinon, par rapport à l'activité pendant le confinement, elle a pu se faire. La grande question s'est posé pour l'enregistrement avec l'orchestre. On a pu décaler en septembre mais il y a eu de la frustration parce qu'on a pu enregistrer à Londres mais c'était l'époque où l'Angleterre avait mis une quinzaine. On a donc fait à distance. On était quand même en conditions de studio mais par Zoom. C'était frustrant parce que le moment de l'enregistrement c'est vraiment LA récompense quand on compose. C'est toujours un sublime cadeau et un moment plein d'émotions.

Je pense que pour les musiciens c'était bien pire. L'activité s'est arrêté pour eux. La composition a été beaucoup moins impacté. Ça reste une chance. Ce n'est pas comme un tournage ou un concert donc au final ça va. Mais encore une fois si c'était une découverte humaine ça aurait bien plus compliqué. On a pu échanger rapidement et de manière plus fluide.

... et habituellement vous travaillez comment ?

A-S. V : Quand j'aborde un film j'aime bien faire mes compositions toute seule même si, encore une fois avec Nicolas c'est différent parce qu'il compose aussi.

...on vous donne un scénario, des images ?

A-S. V : Oui ça arrive. Après je trouve qu'il ne faut pas trop s'attacher aux musiques que l'on composent sur scénario parce que tout se joue lorsqu'elles sont calées sur les images. Parfois, certaines musiques que l'on adore ne trouvent pas leur place au montage et inversement. Il faut être prêt·e à recommencer.

Donc ça peut être sur scénario mais c'est quand l'image arrive que le travail commence vraiment. Ça m'est déjà arrivé, d'arriver plus tard sur un projet où le montage est déjà fait donc il faut travailler dans l'urgence. J'aime bien commencer à réfléchir sur le scénario. Ça permet de faire murir nos idées même si on ne commence pas concrètement la composition. On peut réfléchir aux instruments, aux couleurs. Ça fait son chemin comme ça.

Vous parlez de "réfléchir"... est-ce que vous avez des inspirations ?

A-S. V : Il y a forcément des inspirations même quand on ne le sait pas tout de suite. Je ne sais pas dire si quelque chose en particulier m'inspire. J'aime bien écouter de la musique classique. J'imagine que ça me nourrit et m'inspire. Je n'ai pas de recette miracle pour trouver l'inspiration. Parfois je sens que ce n'est pas là, que ce n'est pas le jour et que c'est mieux de lâcher. Donc je vais dormir (rires).

Vous avez des envies particulières pour la suite ? De travailler avec un·e cinéaste par exemple ?

A-S. V : Oui ! Après c'est un peu voir en grand parce que se sont de grandes productions mais j'aimerai bien travailler avec Denis Villeneuve. Je trouvais que son duo avec Johan Johannsson était incroyable. Il y avait quelque chose de magique dans cette collaboration. C'était du sur mesure. J'étais impressionné, quand je l'avais vu, par le film Sicario. Il y a un moment, dans le film, où ils passent la frontière. Il y aurait pu y avoir une musique "cliché", pleine de tension parce que la scène l'est mais ils vont vers autre chose. J'étais impressionnée. Ça, c'est inspirant et motivant par exemple. Ça fait plaisir de voir qu'il y a de place pour oser des choses.

La composition c'est une nouvelle écriture du film ?

A-S. V : Ça peut. Dans le choix de musique même des silences, comment ça se répète, ça crée des sentiments. Ça peut émouvoir, agacer et il y a une répercussion sur l'appréciation générale du film. J'avais trouvé que dans le film Jusqu'à la garde, où il n'y a pas de musique, les silences étaient géniaux. Ils rendaient l'atmosphère incroyable.

Quand vous travaillez sur scénario c'est plus compliqué, non ?

A-S. V : Totalement ! C'est pour ça que je disais précédemment qu'il ne faut pas s'attacher à la musique sur scénario. Par exemple on peut écrire une musique émouvante parce qu'on a lu une scène qui l'est. On l'écoute, elle est belle, émouvante et elle fonctionne. Mais à l'image elle ne trouve pas sa place. Elle est de trop, elle redit ce que la mise en scène montre. Idem, parfois une musique fonctionne très bien sur scène, seule... parce qu'on travaille souvent scène par scène, mais quand on regarde le film en entier, ça ne fonctionne pas. Comment est la musique dans le film ?

La musique de cinéma prend forme quand le film est monté. Ça peut arriver de commencer à composer et à enregistrer en parallèle du montage. On a donc pas forcément la vision totale. On peut écrire une musique pour une scène en particulier qui commence à un point A et se termine à un point B. Mais parfois la scène dure moins longtemps donc forcément ça impact notre création musicale. Parfois on est vraiment à la seconde près. Le jeu avec le silence est primordial.

Dans La Belle époque, par exemple, il y a une scène où Fanny Ardant met son mari dehors et elle pleure à la porte. On a fait pas mal d'essais. Au début on la voit, elle claque la porte, la musique commence. Elle met ses mains sur son visage. On s'est rendu compte que c'était mieux si la musique commençait plus tard, qu'elle soit davantage dans la résonance de sa douleur plutôt que dans l'illustration de ce sentiment.

La Belle époque de Nicolas Bedos ©Constantin Film Verleih GmbH

Vous me disiez, avant de commencer l'interview, que vous avez terminé la musique en octobre, pour un film qui devait initialement sortir en février. Vous terminez assez "tard", non ?

A-S. V : La musique fait partie des derniers maillons de la chaîne. En général c'est l'avant-dernier maillon, juste avant le mixage du film. Souvent on peut commencer en parallèle du montage. La date de sortie peut dépendre mais la musique arrive toujours à la fin. Par rapport à tout ce qu'on a dit mais aussi parce que sa place définitive sera fixée une fois que le montage sera terminé. Quand je n'ai pas le montage son, ça veut dire que je peux recevoir une scène sans sons, juste avec les dialogues. Souvent on y ajoute des choses : chants des oiseaux, bruits de ville, etc, donc parfois la musique va se lier à tout ça. Il faut qu'elle s'intègre. Une fois que le film est mixé, c'est la fin.

Merci à Ophélie Surelle et à la SACEM.


Retrouvez notre interview avec les compositrices Fredrika Stahl et Uele Lamore ainsi que notre double épisode consacré à la musique de cinéma par le biais des compositrices.

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