CHIEN BLANC - Anaïs Barbeau-Lavalette

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Dog Unchained

En 1969, Romain Gary analysait les déchirures de l’Amérique autour de la question raciale dans un livre autobiographique, Chien blanc. Quarante-cinq ans plus tard, la réalisatrice québécoise Anaïs Barbeau-Lavalette en propose une adaptation modernisée, parfois inégale mais politiquement passionnante.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire au premier abord, il n’y a aucun canidé couleur de neige dans Chien blanc. La bête qui surgit dans ce film, adapté du livre du même nom écrit par Romain Gary à la fin des années 1960, est un berger allemand. Sa blancheur vient en réalité de ses dresseurs, qui l’ont entraîné à intimider, poursuivre, voire tuer des personnes noires. Nous sommes aux États-Unis, au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King. Le pays se déchire entre les militants pour les droits civiques et les racistes de tous poils. Consul général de France à Los Angeles, Romain Gary vit là-bas avec son épouse, l’actrice Jean Seberg. Et bientôt, l’arrivée du fameux chien reproduit, dans l’intimité de leur maison, les fractures qui traversent le pays entier. Jean Seberg, engagée auprès des Black Panthers, refuse de garder un animal dangereux. Romain Gary, lui, croit dur comme fer qu’il est possible de rééduquer la bête. 

Anaïs Barbeau-Lavalette, cinéaste et scénariste québécoise, choisit de superposer les effondrements. Celui, d’abord, d’une nation qui ne s’est jamais remise de son histoire originelle, marquée par la ségrégation et l’esclavage. Celui, ensuite, d’un couple affaibli par le temps qui passe et les divergences de points de vue. Chien blanc n’est jamais aussi intéressant que lorsqu’il s’intéresse au premier. La réalisatrice fait le choix judicieux de ne pas circonscrire sa réflexion aux années 1960 mais bien de raconter, en quelques plans et grâce à des images d’archives, des siècles de racisme et d’inégalités systémiques. L’image du chien qui poursuit des esclaves, puis les premiers élèves noirs acceptés dans des écoles autrefois réservées aux Blancs, puis des Noirs portant des Nike, s’imprime efficacement sur la rétine. Tout comme les regards caméra qu’Anaïs Barbeau-Lavalette propose comme autant d’interpellations frontales. 

La réalisatrice, blanche elle-même, a le bon goût d’assumer ses biais. Sa porte d’entrée est celle d’un couple de Blancs privilégiés, mais la question qui l’habite est précisément celle de la justesse de leur engagement. Sont-ils de bons alliés ? Peuvent-ils se rallier à une cause qui ne les touchera jamais directement sans la phagocyter ? Dans une scène d’une justesse impressionnante, la mère d’une jeune Noire lynchée demande à Jean Seberg de ne pas lui dérober tout ce qui lui reste : son combat.

Le volet intimiste du film, en revanche, est plus fragile. Malgré deux solides interprètes, Denis Ménochet et la Canadienne Kacey Rohl, qui ne cèdent pas à la tentation de l’imitation, on peine quelque peu à comprendre les dynamiques de ce couple étrange. Même la mise en scène d’Anaïs Barbeau-Lavalette est plus inspirée lorsqu’elle parle de politique que lorsqu’elle s’installe dans la chambre à coucher. De Chien blanc, on retiendra donc plus volontiers les questions morales et les douleurs collectives que les atermoiements et peines individuelles. Il est des moments où la petite histoire est forcée de s’incliner devant la grande.


MARGAUX BARALON

Chien blanc

Réalisé par Anaïs Barbeau-Lavalette

Avec Denis Ménochet, Kacey Rohl, K.C. Collins

Québec, 2024

1968 - États-Unis. Martin Luther King est assassiné et les haines raciales mettent le pays à feu et à sang. Romain Gary et sa femme l’actrice Jean Seberg, qui vivent à Los Angeles, recueillent un chien égaré, dressé exclusivement pour attaquer les Noirs : un chien blanc. L'écrivain, amoureux des animaux, refuse de le faire euthanasier, au risque de mettre en péril sa relation avec Jean, militante pour les droits civiques et très active au sein des Black Panthers.

En salles le 22 mai 2024.

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