FESTIVAL OFF-COURTS : Nos coups de cœur des films de réalisatrices

Le festival du court-métrage Off-Courts célébrait en ce début septembre sa 25ᵉ édition, avec une programmation d'une grande qualité faisant la part belle à l’animation (cinq films du genre au palmarès, une première !) et au documentaire. Focus sur les films de réalisatrices les plus percutants découverts cette année.


Blueberry Summer, de Masha Kondakova

Au milieu d’une forêt luxuriante, la jeune Ksyusha cueille, dans une apparente insouciance, des myrtilles avec sa mère et sa sœur, ne rêvant que d’une chose : s'éclipser pour rejoindre les bras de son amoureux Misha. Mais derrière le décor bucolique et les prémices d’un flirt adolescent, une ombre se projette. Celle du conflit ukrainien. Masha Kondakova, réalisatrice déjà remarquée par son travail documentaire, amène avec subtilité la présence de la guerre. C’est d'abord un voisin menaçant, la carcasse d’un blindé, qui vient nous rappeler subtilement la violence avant un dernier acte plus démonstratif, où l’héroïne se retrouve prise au piège. En une quinzaine de minutes, les émotions s’enchaînent dans une fluidité remarquable. Maîtrisé de bout en bout – notons, en plus de ses qualités scénaristiques, l'interprétation de la comédienne Uliana Zolkina et la beauté de la photographie –, Blueberry Summer tient en lui de belles promesses pour une cinéaste sensible et politique.


Au 8ᵉ jour, d’Agathe Sénéchal, Elise Debruyne,Flavie Carin, Alicia Massez et Théo Duhautois

Cette année, Off-Courts avait des airs d’Annecy ! L’animation a dominé une compétition de haute volée, parmi laquelle on retrouvait Au 8ᵉ jour, film d’école codirigé par quatre réalisatrices et récompensé pour sa bande originale. Un récit allégorique sur la crise écologique convoquant l’image fragile du fil maintenant l’équilibre de la biodiversité. Une allégorie littéralement représentée à l’écran par une animation en stop-motion à partir de fil de laine, venant assombrir un univers de tissus, marionnettes et peluches. La violence vient contraster avec la douceur des visuels appelant aux réminiscences de l’enfance, symbole d’une perte de l’innocence sur le sujet. Si le propos reste attendu, la forme éblouit avec ce mélange habile de techniques anciennes (l’animation des jouets et des pelotes de laine s’inscrit dans l’héritage de la pionnière tchèque Hermína Týrlová) et des outils modernes, l’utilisation de la 3D permettant une immersion remarquable. 

Prix de la meilleure musique originale / À voir sur My Canal


Ce qui appartient à César, de Violette Gitton 

César, 12 ans, est, comme tous les garçons de son âge, en plein apprentissage des codes d’une masculinité virile. Dans le vestiaire du cours d’escrime, les jeunes garçons se jaugent déjà, rient du corps féminin et mesurent la taille de leur sexe. Mais quand la grande sœur de César est victime d’une agression sexuelle, les prémices de cette construction sociale vacillent. Violette Gitton, également coach pour enfants acteurs en parallèle de son activité de réalisatrice, interroge la construction de la virilité et de la culture du viol, qui s’immisce dès la sortie de l’enfance. Un sujet passionnant que la réalisatrice a la bonne idée d’inclure dans le milieu sportif, terrain de construction sociale et de dérive, où l’escrime, la piscine (lieu de l’agression) et la danse apportent chacune un espace de réflexion. Si le film se montre un peu trop programmatique dans son développement, avec un manque sur la relation frère-sœur et quelques passages allégoriques superflus, la mise en scène millimétrée, le travail avec les jeunes comédiens et la théorisation de la représentation d’une masculinité encore peu vue sur les écrans posent des bases qu’on espère voir développées dans un projet plus long.


L’œil et la mule, de Sarah Limorté

La parole de nos aînés est peut-être l’une des moins explorées quand il s’agit de parler de sexualité. Sarah Limorté interroge sa grand-mère sur la question au cours d’une séance de tricot. Et à près de 90 ans, la voici étonnamment bavarde, narrant la violence, les joies et les frustrations d’une vie sexuelle ordinaire d’une femme née avant la libération sexuelle. Seules ses mains aux gestes mécaniques qui parfois trahissent son émotion sont filmées pour donner un poids maximal à ses mots (dispositif d’ailleurs presque identique dans un autre film de la sélection sur les violences faites aux femmes, Après-coups de Romane Garant Chartrand). Quand, après l’avoir d’abord éludé, elle raconte sa première fois avec le père de ses enfants, un viol qu’elle avait tu jusqu’à aujourd’hui, le petit film de l’intime devient un témoignage clé sur la banalité et le tabou des violences sexuelles dans le couple. Un formidable documentaire sur l’universalité de l’intime.

Prix du meilleur documentaire


Hello Stranger, d’Amélie Hardy

Voici un autre documentaire, dont l’esthétique cette fois convoque la fiction. On y rencontre Cooper, jeune femme transgenre qui, dans le cocon d’une buanderie déserte, raconte les méandres de son existence. Au milieu des brassées, elle se livre sans tabou, de son enfance dans un village de pêcheurs aux étapes de sa transition. La réalisatrice Amélie Hardy joue de l’utilisation de la voix off en mettant en scène son personnage et son timbre grave, dernier signe de masculinité qui empoisonne sa quête identitaire. Car pour trouver sa voie, Cooper doit déconstruire la sienne. D’abord hors champ, le témoignage de la jeune femme remplie physiquement le cadre en s’adressant directement au spectateur, le regard fixé sur la caméra. Briser le quatrième mur ne sera qu’un exemple des nombreuses trouvailles de mise en scène d’Amélie Hardy, dont l’esthétique rappelle le travail d’un Xavier Dolan ou d’une Andrea Arnold, s’échappant des formes plus classiques du témoignage documentaire pour entrer pleinement dans une esthétique très cinématographique. Une exploration des vécus trans réjouissante qui n’élude rien du cheminement personnel vers l’acceptation de soi.

Prix de la meilleure réalisation Québec 

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