FREDA - Gessica Généus
Portrait de femme(s)
Alors que Haïti connaît une crise politique sans précédent suite à l’arrivée au pouvoir de Jovenel Moïse en 2019 - assassiné en juillet dernier -, la réalisatrice Gessica Généus présente au même moment son premier long-métrage de fiction, Freda, sélectionné à Un Certain Regard. Déjà dans ses précédents courts et longs-métrages documentaires, comme dansDouvan jou ka levé, Gessica Généus interrogeait l’essence de l’identité haïtienne. Dans Freda, elle suit le quotidien de son personnage éponyme au cœur de la banlieue de Port-au-Prince, dans un pays au bord de l’implosion.
Gessica Généus dresse le portrait de trois femmes que tout semble opposer. La mère, Jeannette, élève seule ses deux filles, Esther l’aînée, qui aspire à un mariage riche pour s’échapper de sa condition et Freda, la cadette, déterminée à résister dans un pays où la violence escalade de jour en jour. Leur quotidien se mue en une résistance inconsciente, dans laquelle les jeunes femmes cherchent à trouver une forme de sérénité, alors même que la violence est omniprésente. Leur vie est ainsi rythmée par la douloureuse question du départ, dans un pays où l’avenir s’assombrit peu à peu. Une interrogation que les hommes eux ne se posent jamais, mari, petit-ami comme frère, qui traversent leur vie pour disparaître aussitôt.
En choisissant d’entrecroiser les images d’archives des manifestations de Port-au-Prince à celles de la fiction, Freda retrace toute une histoire de l’Haïti. La scission est multiple, tant politique que culturelle, illustrée par la difficile cohabitation de la culture vaudoue et protestante. Mais le pays porte aussi le poids d’un héritage particulièrement douloureux, marqué par l’esclavagisme et la négation de l’identité noire. Le racisme, et plus particulièrement la blanchité, gangrène la société jusque dans son intimité, à l’image d’Esther qui dépigmente sa peau pour coller aux plus près des critères de beauté occidentaux. Le combat pour la liberté est alors porté par les voix d’une jeune génération, qui lutte pour la préservation de leur identité haïtienne.
Dans un contexte profondément chaotique, Gessica Généus capte avec émotion toute la beauté de la culture haïtienne. La réalisatrice quitte la fiction le temps de quelques séquences, et renoue avec un style documentaire lorsqu’elle filme les traditions. Par ce geste hautement symbolique, Freda replace au centre de son histoire le peuple haïtien, et en magnifie tous ses attributs : sa langue (le film est entièrement tourné en créole), ses visages, ses peaux noires (éclatantes de beauté dans l’objectif de la cheffe-opératrice Karine Aulnette), ses danses, mais aussi son urbanité et ses couleurs. Le film cristallise tous les enjeux de la société haïtienne et en préserve la richesse de la plus délicate des manières.
Freda, en plus d’être haïtienne et aussi femme. La violence qu’elle subit est intersectionnelle, car s’ajoute aussi celle du patriarcat. De l’impunité des hommes dans l’intimité du foyer à l’impossible libération de la parole, elle s’opère dans toutes les strates de la société et pèse comme un fardeau sur les épaules des femmes. Interprétée par Néhémie Bastien, Freda s’érige alors en héroïne malgré elle et incarne une forme d’espoir. Gessica Généus dresse le portrait de trois femmes dans ce qu’elles ont de plus complexes, de plus fort et aussi de plus réel. La violence s’immisce au cœur de leur vie avec une subtilité qui fait froid dans le dos, et qui n’a jamais rien de complaisant.
Si l’envie de rester est sans doute plus forte que l’urgence de partir, le film s’achève sur un mystère irrésolu. En plongeant dans le regard de Jeannette, étiré dans de longues minutes, on y devine douleur, résignation et une étrange sérénité, mais surtout une impasse. La sororité, aussi imparfaite soit-elle, devient l’unique rempart face au chaos. Cette bouleversante scène finale incarne à elle seule tous les enjeux de ce long-métrage qui raconte Haïti dans toute sa splendeur et sa laideur. Freda est avant tout un récit d’amour pour son peuple et son territoire, malgré la souffrance du déchirement.
Réalisé par Gessica Généus
Avec Néhémie Bastien, Fabiola Remy, Djanaïna Fraçois ...
Freda habite avec sa mère et sa soeur dans un quartier populaire de Port-au-Prince. Face aux défis du quotidien en Haïti, chacune se demande s’il faut partir ou rester. Freda veut croire en l’avenir de son pays.
En salle le 13 octobre 2021