NEGRA - Festival Ojoloco

Réappropriation d’identité

La réalisatrice mexicaine Medhin Tewolde Serrano réalise son premier long-métrage, un documentaire, consacré aux femmes noires de son pays. Negra part d’un événement survenu pendant l’enfance de la cinéaste, qu’elle nous confie dans les premières secondes du film. Mais parce que “le racisme n’est pas quelque chose de personnel, il est structurel” (nous dit la réalisatrice elle-même en voix-off), Medhin Tewolde Serrano part dans les différentes régions du Mexique interroger des femmes. Par leur témoignage, ces cinq voix partagent, interrogent, et confrontent le racisme qu’elles ont subit et qu’elles subissent encore, dans un pays où le mot noir est invisibilisé, nié.

Dans une pièce neutre, deux chaises se trouvent au milieu du cadre, face à face. La réalisatrice s’assoit sur l’une d’elle et la caméra change d’angle pour que les spectateur‧trices soient en face. Elle nous raconte alors comment à l’âge de sept ans, le mot negra est prononcé par un petit garçon de son âge. Elle ne sait pas encore qu’il parle d’elle. Et quand elle s’en aperçoit, elle comprend également autre chose : negra (noire en français) est une insulte dans la bouche de ce garçon. Ce passage de son enfance la marquera à vie. Tout en parlant, le montage nous montre des images d’archives, une petite fille pleine de vie qui joue, nage, vit innocemment une enfance heureuse, tandis que les paroles de la réalisatrice nous racontent son traumatisme. On se rend alors compte que cette petite fille est Medhin et que l’innocence qui se dégage de ces belles images est souillée par le ton moqueur du petit garçon. Comment se reconnaître dans une identité dont on ne connaissait même pas l’existence ? Comment se construire quand cette identité est niée par votre famille, vos ami‧es, la population ? Parce que nous sommes face à la réalisatrice dans le cadre, Negra ouvre une conversation. Une conversation qu’elle partage avec cinq autres femmes, qui ont accepté que la caméra filme leur réalité, leur chemin vers l’acceptation de soi et leur refus d’être inscrit dans un stéréotype. Les afro-descendantes mexicaines, tout comme le pays lui-même, sont multiples. Ces voix sont là pour célébrer cette diversité et surtout pour affirmer leur existence.

“Le problème avec les stéréotypes n’est pas qu’ils sont faux, mais qu’ils sont incomplets”  

 — Chimamanda Ngozi Adichie

Une des intervenantes intercepte un des habitants de son village et lui demande s’il existe des noir‧es au Mexique. Il lui répond non. Les afro-américain‧es se trouvent aux États-Unis, il n’en existe aucun‧e dans leur pays. La population noire mexicaine est autre, ce sont des étranger‧ères, que l’on va parfois confondre avec différentes populations indigènes, qui sont elles reconnues au Mexique. Il est donc difficile de se construire devant une telle négation structurelle. Même si le racisme est ancré dans un système, il entre également au cœur de l’intime de ces femmes comme une douleur permanente. C’est un fiancé avec qui l’on rompt parce que la mère n’accepte pas des peaux trop “sombres”. Ce sont des cheveux crépus, qui d’après une coiffeuse blanche, font paraître une jeune adolescente trop sérieuse et qui ne sont pas “fun à coiffer”. Ce sont des stéréotypes rabâchés sans cesse. En plus des témoignages, Negra forme des voix, qui telle Chimamanda Ngozi Adichie ou Audre Lorde (citées en voix-off), vont refléter une réalité, leur réalité et devenir l'étendard d’une parole reconnue. Elle se livre entièrement, sa colère, son besoin de l’apaiser et d’avancer. Elle dédie son film à sa fille, comme pour tisser un lien avec la nouvelle génération, qui pourra peut-être construire un avenir meilleur. 

Tout comme ses intervenantes qui ont leur propre source de langage (le dessin, la danse, la poésie, également le documentaire pour l’une d’entre elles), Medhin Tewolde Serrano s’est trouvé un outil de résistance pour célébrer son identité.


Réalisé par Medhin Tewolde Serrano

J'avais environ sept ans lorsque, pour la première fois, j’ai entendu quelqu'un dans la rue crier "negra”. Je me suis retournée pour voir qui ils appelaient, et j'ai compris que c'était moi. Ce jour-là, j’ai su que j'étais noire et les rires autour de moi m’ont fait comprendre que ce n'était sans doute pas une bonne chose... Étais-je la seule à l’avoir vécu ou d’autres étaient-elles aussi passées par là? "Negra" raconte ma recherche, avec d'autres femmes d'ascendance africaine, sur ce que cela signifie pour chacune d’entre nous  de vivre au Mexique dans le corps d'une femme noire. Le film tresse l’histoires de 5 femmes, exposant le racisme vécu, partageant les processus de résistance et d'acceptation de soi, les stratégies pour transcender les stéréotypes et la célébration de son identité.

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