PLEASURE - Ninja Thyberg

Pour le plaisir

Bruits de bouches et de corps qui s'entrechoquent, alors même que l'industrie pornographique est une affaire d'images, la réalisatrice fait le choix, dès l'ouverture de son film de briser les règles. Avec son premier long-métrage, Ninja Thyberg ne fait pas dans la dentelle. Labellisé Festival de Cannes 2020, Prix du Jury au Festival de Deauville 2021,Pleasure est de ces oeuvres qui nous hantent pendant longtemps. En faisant le choix audacieux de porter un regard intelligent sur une industrie qui concerne tout le monde, et pour preuve, puisque d'après une enquête de l'IFOP, en France « à 12 ans, un enfant sur trois a déjà été exposé à la pornographie » et « 44 % des jeunes ayant des rapports sexuels déclarent reproduire des pratiques qu’ils ont vues dans des vidéos pornographiques », la cinéaste suédoise étonne.

Cri engagé et mesuré contre une fabrique à fantasmes qu'elle dénonce tout en rondeurs et tout en nuances, montrant autant l'humanité bienveillante de certain.es technicien.nes du milieu que la cruauté de d'autres :«comme dans tous les milieux, le monde du cinéma porno contient ces gens méchants. C'est la même chose que de travailler au supermarché : il y a des gens gentils et d'autres méchants », exprime la réalisatrice lors d'une séance de questions/réponses. C'est cette banalité du métier que reproduit la cinéaste qui insère un female gaze au sommet.

Regards féminins

Sans détours, la réalisatrice dresse un portrait complet et sans limites de cette industrie misogyne, raciste, homophobe où la violence est souvent cachée derrière les désirs des consommateurs. Ces derniers, bien que peu présents, incarnent les regards et par extension, nous spectateurs du film, nous les interprétons. Nous sommes projetés et transposés au sein d'un récit quasi-documentaire. Grâce à la caméra intimiste qui ne quitte jamais le regard de sa protagoniste (sauf, très justement, dans une scène où elle se retrouve à la place du dominateur), toujours au centre, jusqu'à ce que l'étouffement se fasse parfois ressentir (notamment lors d'une scène terrifiante et oppressante où la notion de consentement prend toute son ampleur), la réalisatrice impose un regard féminin important qui manque cruellement à l'industrie pornographique : « je n'avais pas envie de représenter le male gaze bien que j'avais envie de le montrer », affirme Ninja Thyberg lors de la même séance questions/réponses citée précédemment.

Et c'est là toute l'intelligence du film qui va se servir de ce regard jusqu'à une scène essentielle où Bella Cherry (brillamment incarnée par Sofia Kappel, qui signe son premier rôle) va reproduire sur une de ses partenaires féminines, la violence qu'elle aura elle-même reçu, un peu plus tôt dans le récit. Précis dans les sujets qui gravitent autour de la pornographie, Pleasure aborde la difficulté, dans un monde où les corps semblent à la disposition de tous les regards, d'exprimer ses limites. Ainsi le viol, le consentement, les abus sexistes et sexuelles sont autant plus difficile à aborder pour les femmes (principalement entourées d'hommes...) qui, pour certaines comme notre protagoniste, choisissent d'intégrer ce milieu où elles sont peu voir jamais protégées.

Le monde pornographique, une micro-société

À travers une mise en scène colorée, Ninja Thyberg intègre les outils nécessaires à la construction d'une telle histoire. La multiplication des écrans : portables, petites caméras, ordinateurs, télévisions, ne va qu'accentuer la frénésie des images désirables. Tisseurs de liens (Joy, la colocataire désespérée et victime d'un triste mépris de classe, de Bella lui apprend comment gagner des followers sur Instagram) ou encore témoins d'une industrie indépendante et parfois fauchée (tournages dans des appartements douteux, jeunes réalisateurs peu fiables), la réalisatrice embrasse les formats pour mieux explorer son sujet sur lequel elle met des mots et des images justes et éclairantes.

Grâce à une enquête de terrain, Ninja Thyberg livre un premier long-métrage important qui témoigne l'ambivalence d'un monde méprisé mais vers lequel la population entière est tournée. Authentique, grâce au casting quasi-intégralement composé de personnes du milieu pornographique, Pleasure est une oeuvre engagée qui marquera le cinéma indépendant américain pendant longtemps.


Réalisé par Ninja Thyberg

avec Sofia Kappel

Une jeune suédoise de 20 ans arrive à Los Angeles dans le but de faire carrière dans l’industrie du porno. Sa détermination et son ambition la propulsent au sommet d’un monde où le plaisir cède vite la place au risque et à la toxicité.

En salle le 20 octobre 2021

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