UN MONDE - Laura Wandel

L’école comme champ de bataille

En 2014, on avait déjà remarqué Laura Wandel avec son court-métrage Les Corps Etrangers, dont l’esthétique dure et froide interrogeait brutalement la conscience de soi dans le regard des autres. Sept ans plus tard, avec Un Monde, la réalisatrice belge a suscité une vive émotion au festival de Cannes en proposant un premier long-métrage poignant sur le harcèlement scolaire. Elle y prend le cas de l’école comme microcosme de la violence : lors de son entrée en école primaire, la petite Nora est témoin du harcèlement dont est victime son grand frère Abel, et devient tiraillée entre son ordre de garder le silence, son besoin d’agir en appelant à l’aide, et son désir de s’intégrer.

Peur immersive

Pour faire résonner la violence de son sujet, Laura Wandel propose le parti pris radical de tout filmer à hauteur d’enfant avec une caméra épaule bringuebalante, pour représenter un monde où les adultes ne sont présents que lorsqu’ils se mettent à la hauteur des enfants. En à peine plus d’une heure, la réalisation acérée propose une réelle immersion dans l’esprit de Nora, de ses peurs à ses apprentissages, notamment grâce à un traitement subjectif du son : partout, le bruit environnant est amplifié, la cour de récréation devient assourdissante, les chocs de jets de sable semblent douloureux. A hauteur des petites épaules de Nora, la cour d’école a tout d’un terrain de bataille. 

En rupture avec un cocon parental rarement mentionné, l’école devient le lieu de découverte d’une agressivité qui désarçonne. Avec l’unité de lieu, elle devient omniprésente dans le monde de Nora jusqu’à en devenir étouffante ; elle se fait le lieu d’une violence sourde et froide, profondément déstabilisante, de sa forme la plus douce (une non-invitation à un anniversaire prend des airs de conflit diplomatique) à la plus sombre et glaciale. Cet univers violent se substitue à la candeur supposée par la présence des enfants, et suscite alors une étrangeté inquiétante chez le public, qui devient témoin des scènes de harcèlement contre son gré, à travers le regard de Nora.

Mais la violence vient également des adultes et de l’école elle-même comme institution. Le corps enseignant, inattentif à la détresse de Nora car débordé par le nombre d’enfants à surveiller, est déshumanisé en soumettant les enfants à des lois qui paraissent absurdes ; les leçons semblent automatisées, jusqu’à l’emblématique cours de sport qui prend des airs d’entraînement militaire. Exclus de l’image par la hauteur de la caméra, le corps enseignant semble abandonner les enfants à leur propre sort, laissant la cour d’école s’organiser selon la loi du plus fort ; il faudra attendre qu’une institutrice prenne le temps de se mettre à la hauteur de Nora et de l’écouter, pour qu’elle trouve enfin un début de protection.

Microcosme scolaire

Chez Laura Wandel, l’école est tout un monde vu au microscope, reflétant les discriminations sociales et sexuelles du monde extérieur : Nora et Abel, élevés dans un schéma perçu comme hors normes (un père au foyer et au chômage), sont marginalisés par leurs camarades, dont l’autorité se substitue à l’impuissance du père.

Avec sa mise en scène du harcèlement, où la force du groupe accentue toujours plus la solitude de la victime, et avec sa fin abrupte et glaciale, Un Monde décortique le cycle de la violence, où les victimes finissent par se substituer aux agresseurs et reproduire leurs actes. Ce propos, tenu sans jugement ni condamnation, vise au contraire à susciter une empathie profonde qui empoigne son public, à travers les yeux de Nora qui assiste à la transformation tragique de son frère.C’est ce propos sur la violence cyclique qui rend le dilemme de loyauté de Nora aussi saisissant ; car elle essaie aussi de faire ses armes, du mieux qu’elle peut, dans ce monde où le statut de victime de son frère représente un poids pour elle. En même temps qu’un regard sur l’origine de la violence, Un Monde est aussi un touchant récit d’apprentissage sur la nécessité de trouver sa place, où réussir une boucle de lacets devient la plus grande des victoires pour affronter le monde.


Réalisé par Laura Wandel

Avec Maya Vanderbeque, Günter Duret, Karim Leklou

Nora entre en primaire lorsqu’elle est confrontée au harcèlement dont son grand frère Abel est victime. Tiraillée entre son père qui l’incite à réagir, son besoin de s’intégrer et son frère qui lui demande de garder le silence, Nora se trouve prise dans un terrible conflit de loyauté. Une plongée immersive, à hauteur d’enfant, dans le monde de l’école.

En salle le 26 janvier 2022

Précédent
Précédent

BLOODTHIRSTY - Amelia Moses

Suivant
Suivant

JANE PAR CHARLOTTE - Charlotte Gainsbourg