ENTRETIEN AVEC YNGVILD SVE FLIKKE - Ninjababy

©Lars Olav Dybvig

« Porter un enfant, c’est un peu comme conduire une voiture »

Le 21 septembre, le public français pourra découvrir Ninjababy, un film qui mêle habilement le récit d’apprentissage aux considérations sur la grossesse non-désirée. Pour sa réalisatrice, la norvégienne Yngvild Sve Flikke, il s’agissait, dans ce film, de dévoiler l’insoutenable légèreté de la maternité et ses recoins plus sombres. Rencontre.

Comment est né Ninjababy le film ?

Yngvild Sve Flikke  : J’ai deux enfants, et quand je suis tombée enceinte, ça a été l’expérience la plus bizarre de ma vie. C’est dur à expliquer, ça pouvait être génial comme super effrayant. J’avais l’impression de ne pas être à la hauteur, que je ne pourrais plus jamais redevenir moi-même. J’ai un peu exploré ça dans mon premier film (ndlr : Kvinner I For Store Herreskjorter, qui n’est jamais sorti en France). Il met en scène les histoires de trois femmes différentes, dont une qui est enceinte et qui a peur que ça affecte sa carrière d’artiste. Mais je n’avais pas assez d’espace pour creuser le sujet. Alors, quand mon producteur m’a appelée alors que j’étais en plein mixage son pour me demander quel serait mon prochain projet, j’ai tout de suite répondu « la grossesse ! » (rires). Et puis, j’ai lu le roman graphique d’Inga Saetre. 

Ninjababy est effectivement une adaptation.

YSF : J’aime beaucoup le trait d’Inga Saetre. Ses dessins sont nerveux, bruts, et en même temps débordants d’amour. De mon côté, j’avais un peu tâtonné du côté de l’animation dans mon premier long avec le budget qui me restait. J’avais envie qu’elle soit partie prenante du film, alors c’est elle qui s’est chargée de toute l’animation. 

Dans le roman graphique d’Inga Saetre, l’héroïne est adolescente. Dans Ninjababy, c’est une jeune femme dans sa vingtaine.

YSF : Oui, on ne voulait pas raconter une histoire de grossesse adolescente ; en tant qu’adulte, je me serais sentie trop mal pour l’héroïne. En fait, on voulait que l’héroïne ait l’âge d’être mère, qu’elle soit banale, aussi, et un peu délurée. Une fille qu’on a tous côtoyé dans notre jeunesse, quoi, qui aurait avorté si elle avait pu. C’est pour ça qu’on a choisi de parler du déni de grossesse, ça permet aussi de questionner le rapport entre le corps et l’esprit et tous les changements qui traversent les corps des femmes à tout âge.

Inga Saetre a réalisé les animations du film après le tournage. Or, l’héroïne principale s’adresse très fréquemment au fameux « bébé ninja » qui est animé. Comment avez-vous pallié cette absence sur le moment ?

YSF : Bonne question (rires), d’autant plus que le bébé n’était pas doublé non plus à ce moment-là. On a tenté beaucoup de choses. Kristine (ndlr : Kristine Kujath Thorp, interprète de Raquel) a finalement porté une oreillette cachée, où un acteur lui donnait la réplique. C’est une très bonne actrice, qui peut s’avérer très imprévisible, donc souvent, quand je lui disais « dans cette scène, regarde à gauche », elle oubliait et faisait l’opposé (rires) ! On s’est adaptés et on l’a aussi laissée improviser, ce qui donne un côté plus organique.

Et parallèlement à la représentation de la grossesse qui est le sujet du film, on a une scène d’accouchement qui brille par son absence.

YSF : Oui, Raquel subit une césarienne qui, à l’image de sa grossesse, lui semble prématurée. Elle perd connaissance, et à ce moment-là, nous entrons dans son esprit. Depuis le début, nous avions prévu d’utiliser l’animation pour retranscrire ce moment. Quand je pense à mes accouchements, je me dis que j’aurais préféré qu’il n’y ait personne autour de moi car c’est très animal. Accoucher, c’est souvent un moment très confidentiel, j’ai eu l’impression qu’on avait pas besoin d’assister à ça. 

Que pensez-vous des films qui traitent de la grossesse ?

YSF : Qu’ils sont trop sérieux. Alors qu’être enceinte… C’est marrant, on a l’impression que c’est anormal alors que des gens portent des enfants et accouchent depuis le début de l’humanité ! C’est comme conduire une voiture, finalement. J’aime bien la liberté de ton dans Juno (ndlr : de Diablo Cody), par exemple. C’est très américain, on parle quand même d’une ado qu’on convainc de ne pas avorter, mais sa dimension décalée est très marquante. Quand je suis au plus bas, l’humour est mon kit de survie. C’est pour ça que j’aime écrire des comédies et des drames. Je pense que c’est ce qui se rapproche le plus de ma vision de la vie.






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