FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM D’HISTOIRE DE PESSAC : Masculin-Féminin

Pour sa 32ème édition, du 14 au 21 novembre 2022, le Festival International du Film d’histoire de Pessac a choisi d’explorer le thème Masculin-Féminin. Le festival proposait un grand nombre de films en avant-première (Corsage, Annie Colère, Emily, She said…), de documentaires (A mort la sorcière, Gisèle Halimi, la cause des femmes, Simone Veil et ses soeurs nées Jacob…), de rencontres et débats autour de cette thématique large et passionnante. Parmi les films découverts, voici ceux qui ont retenu notre attention.

Journal d’une bonne, l’histoire de Félicité Lavergne - Valérie Manns - 2022

Le documentaire de Valérie Manns reconstitue la vie de Félicité Lavergne, bonne de la fin du 19ème siècle à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Née dans une ferme au sein d’une famille de 11 enfants, elle n’a d’autre choix que celui de quitter sa famille à l’âge de 14 ans pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses parents. Va s’ensuivre une vie de labeur, humiliations et solitude, 40 ans de travail invisible et déshumanisé. En 1900, sur 15 millions d’actifs en France, on compte un million de domestiques. Ceux-ni n’ont aucun droit les protégeant, aucun jour de congé, aucune prime, aucun divertissement. 

Le film se base sur le journal de Félicité, rédigé pendant une grande partie de sa vie. Ce document constitue le témoignage inédit de sa condition de “bonne à tout faire”, esclave de familles petites-bourgeoises, bourgeoises puis aristocrates, toutes plus injustes, sévères et humiliantes les unes que les autres. Un point commun rassemble toutes ses familles : l’obligation pour leurs domestiques d’être invisibles. Félicité, très lucide sur son sort, se plaint très peu, lit le dictionnaire le soir, pense à sa fille qu’elle a dû mettre en nourrice en Normandie. Sa force, sa capacité de résilience et sa clairvoyance impressionnent. La réalisatrice se sert de son exemple pour raconter la vie de ces serviteurs invisibles, esclaves modernes sans qui la vie quotidienne de millions de foyers ne pouvait fonctionner. Indispensable.

Deneuve, la reine Catherine - Virginie Linhart - 2021

Réalisatrice d’un documentaire en 2018 sur Jeanne Moreau, Virginie Linhart signe un magnifique portrait de la plus grande actrice française, forte d’une carrière de plus de 130 films. Mais si l’actrice est sur tous les écrans depuis qu’elle a 17 ans, elle a une réputation de femme secrète, mystérieuse, pour ne pas dire froide. On découvre dans ce documentaire une jeune fille timide et réservée, qui ne se destinait pas au cinéma, puis une jeune femme pleine de vie et de drôlerie. Le documentaire a l’intelligence de ne réaliser aucune interview de proches mais se base sur de nombreuses images d’archives, interviews que Catherine Deneuve a donné tout au long de sa vie, lorsqu’elle se racontait à 20-25 ans, lorsqu’elle se protégeait à 50-60 ans. Le film évoque celles et ceux qui ont compté pour l’actrice : sa sœur bien-aimée Françoise Dorléac, ses liens avec Truffaut et André Téchiné, son amour pour Mastroianni, sa collaboration plus difficile avec Bunuel… De nombreux extraits de films essaiment le documentaire, des Parapluies de Cherbourg au Dernier métro, en passant par Les Demoiselles de Rochefort, Huit femmes, La Sirène du Mississippi, Répulsion, Hôtel des Amériques… où l’on découvre une actrice talentueuse, qui a su renouveler ses rôles et s’adapter aux évolutions de la société. Voilà peut-être pourquoi Deneuve est tant aimée des Français, parce qu’elle est l’incarnation de la Française libre et moderne. Femme qui s’assume, qui a eu des enfants hors mariage, dépensière, fêtarde, Catherine Deneuve ne rentre pas dans le rang et en est fière. Avec ce portrait qui se veut fidèle, on a la chance de s’approcher, autant que possible, de l’actrice la plus secrète du cinéma français.

Le Ciel est à elles - Valérie Manns - 2021

Reprenant le titre du magnifique film de Jean Grémillon, Le Ciel est à vous, sur une épouse et mère de famille qui se découvre une vocation d’aviatrice, Valérie Manns évoque dans ce documentaire le destin de trois aviatrices françaises de l’entre-deux-guerre. Adrienne Bolland, Maryse Bastié et Hélène Boucher : trois noms pratiquement inconnus aujourd’hui, qui furent pourtant d’immenses aviatrices à leur époque, défiant les limites et battant les records. Leurs exploits ne sont pas d’abord pas remarqués, et leurs arrivées, contrairement à ceux des aviateurs, restent discrètes. Pas de foule en délire ni de photographes, tout juste un bouquet de fleurs. Mais le courage et la détermination de ces femmes ne s'ébranlent pas et les poussent à battre des records. Liaison Paris-Saïgon, traversée de la Manche, traversée de la Cordillère des Andes, concours de loopings, tout cela dans des avions légers et fragiles, pas toujours parés aux conditions météorologiques. Le paradoxe est pourtant là : tandis qu’elles battent les records et sont célébrées par la foule et les médias, elles vivent dans le dénuement, ne parvenant pas à être rémunérées comme leurs homologues masculins. Car la société française n’est pas toujours prête à accueillir ces femmes héroïques, quand le droit de vote des femmes est rejeté par le Sénat. Tout en archives, le documentaire est un hommage magnifique et fascinant à ces femmes hors-pair, modèles intrépides d’indépendance et d’audace. 

Précédent
Précédent

ANNIE COLÈRE - Blandine Lenoir

Suivant
Suivant

ENTRETIEN AVEC EMERANCE DUBAS - Mauvaises Filles