JUSTE UNE NUIT - Ali Asgari

Maternité contrariée

Même comblée par le bonheur de la maternité, être une maman solo n’est jamais simple. Encore moins quand l’enfant est un secret. Issue d’une famille iranienne traditionnelle, la jeune Fereshteh n’a pu se résoudre à annoncer sa grossesse puis la naissance de son bébé à ses parents, surtout à son père, ombre redoutable qui plane au-dessus d’elle. Mais voilà, cette fois elle ne peut se soustraire à ses obligations et se doit d’héberger ses proches pour une nuit. Heure d’arrivée prévue à Téhéran : 20h. La course contre la montre est lancée, Fereshteh n’a plus que quelques heures pour cacher toute trace du nourrisson illégitime dans son appartement et, surtout, réussir à le faire garder. À partir de cette intrigue somme toute banale et aux développements parfois un peu schématiques, le réalisateur Ali Asgari parvient dans Juste une nuit à nous maintenir en haleine tout au long de cette quête grâce à une mise en scène physique. Peu à peu le drame social se transforme en redoutable thriller urbain.
À pieds, en bus, en scooter, en taxi ou en ambulance, la caméra colle cette femme d’un point à l’autre de Téhéran. Des déplacements qui vont rythmer chaque étape de son périple, dont le cœur de chaque évènement est, à l’inverse, filmé en plan séquence statique, comme pour mieux maintenir une certaine tension. Une femme toujours en mouvement, toujours dans l’action. Pas un instant elle n'envisage de renoncer, même si l’étau se resserre autour d’elle et son bébé. Si les personnages qu’elle croise la juge, ce n'est absolument jamais le cas de la caméra, Asgari empoignant totalement son point de vue dans un film qui se conjugue au féminin. Le réalisateur s’est imprégné des récits des ses sœurs et de ses amies pour construire la psychologie de ses protagonistes. Une oeuvre saisissante dans la lignée de son premier film, Disappearance (2019), un long-métrage déjà porté par la formidable comédienne (et nièce du réalisateur) Sadaf Asgari suivant le parcours du combattant d’une jeune femme et son petit ami pour soigner une blessure dévoilant une sexualité hors-mariage, évidemment répréhensible dans l’Iran traditionaliste.

Construit sous forme de boucle, Juste une nuit confronte aussi son personnage principal à divers sphères d’opposition : la femme moderne et son besoin d’émancipation face au poids de la tradition, face aux affres d’un système politique à bout de souffle, face à la domination masculine dans un pays patriarcale dont on connaît hélas les dangereuses limites sur la question du droit des femmes… Une scène en particulier catalyse toutes ces problématiques. Quand Fereshteh tape à la porte d’une maternité pour accueillir l’enfant. Dans le centre hospitalier, faux lieu d’accueil assimilable à un piège, elle affronte un chef de service en plein abus de pouvoir, se targuant devant la jeune femme d’être incorruptible avant de lui demander des faveurs sexuels.

Mais les hommes ne sont pas les seuls porte à faux, la preuve dans la séquence suivante où un ambulancier vient en aide à la jeune maman. Les femmes aussi peuvent agir de manière glaçante, comme une voisine suspicieuse face au déménagement intempestif des affaires du bébé ou une ménagère refusant vigoureusement la garde de l’enfant malgré la volonté de son mari d’aider ses amies. C’est face à tout un système que Fereshteh, son enfant et sa meilleure amie Atefeh doivent survivre, où  chaque rencontre peut leur coûter cher. Ainsi Atefeh, encore étudiante là où son amie à tout arrêter pour faire face à ses responsabilités maternelles, souligne à plusieurs reprises son envie de partir en Amérique du Nord, Ali Asgari abordant ici la fuite de cette jeunesse entravée de Téhéran. Le film s’inscrit dans  une  lignée de films mettant en avant les femmes comme moteurs d’une société iranienne en quête de libertés et de changements, dont on peut citer la brillante fresque de Saeed Roustaee Leila et ses frères (2022). À voir les héroïnes de Juste une nuit, déterminées et portées par un désir d’émancipation, impossible évidemment de ne pas penser aux récents mouvements pour le droit des femmes qui ont embrasé l’Iran. Pour sûr qu’elles auraient été en première ligne le point levé si elles n’étaient fictives. Femme, vie, liberté !

Juste une nuit, réalisé par Ali Asgari

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Écrit par Par Ali Asgari, Alireza Khatami,

Avec Sadaf Asgari, Ghazal Shojaei, Babak Karimi…

Titre original : Ta farda

Iran, 2022

Fereshteh doit cacher son bébé illégitime pendant une nuit à ses parents qui lui rendent une visite surprise. Son amie Atefeh l'aide. Elles se lancent dans une odyssée au cours de laquelle elles doivent soigneusement choisir qui sont leurs alliés.

En salle le 16 novembre 2022.

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