L’INNOCENCE - Hirokazu Kore-Eda
Les enfants, l’avenir.
Le dernier film de Kore-Eda s’attaque à un sujet de société, faisant d’un fait a priori anecdotique un thriller romantique sensible.
Une fois n’est pas coutume : Kore-Eda n’est pas l’auteur de son scénario, c’est à Yuji Sakamoto que revient l’écriture du script de L’Innocence. Grâce à cette collaboration, le film a gagné, à raison, le Prix du scénario au dernier Festival de Cannes. Saori, veuve, élève seule son fils Minato. Face au mal-être apparent du garçon, Saori obtient une confession : Minato serait le souffre-douleur d’un professeur. Mais celui-ci a une autre version des faits, dans laquelle Minato serait désagréable avec Yori, un de ses camarades. Le récit s’apparente à un ensemble de couches qui s’envolent petit à petit, jusqu’à dévoiler le cœur de l’intrigue. C’est alors qu’apparaît la tendresse sous la dureté du monde. Mais, paradoxalement, c’est l’attachement porté par le réalisateur au scénario qui est le principal défaut du film. La mise en scène est assez forte pour être souvent suffisante, mais Kore-Eda ne lui fait pas suffisamment confiance et tend à calquer chaque précision du scénario. La métaphore du monstre, par ailleurs merveilleusement bien exploitée, est montrée, articulée et chantée à plusieurs reprises - une répétition pas nécessaire.
Il faut dire qu’au-delà de la structure complexe du scénario, les thématiques sont riches. L'approche doit être minutieuse puisque l’entreprise n’est pas aisée. Sous cette relation mère-fils qui vire au thriller dramatique, se cache une dissection accrue des rôles sociaux. Les personnes tierces reprochent à une femme célibataire de ne pas être capable d’élever correctement un garçon. Saori, aimante et à l’écoute, narre à son fils la force de son père, un rugbyman qui ne connaissait pas la douleur. Elle promet à Minato qu’un jour, il aura à son tour une femme et des enfants. Des banalités apparentes, disséminées dans le quotidien d’une relation maternelle bienveillante, à l’heure où l’enfant s’apprête à devenir adolescent. L’école ne fait que reproduire, voire amplifier cette injonction au virilisme. Dans L’Innocence, ni les adultes, ni les enfants ne sont mal intentionnés, mais ils contribuent tous à une spirale venimeuse. Le titre international Monster fait référence à un jeu prisé par les enfants, équivalent du « Qui suis-je » dans l’Hexagone. Et effectivement, à l’heure où l’enfance se termine, quelle est la personnalité que l’on décide de se forger ? Les rôles attribués à chacun dans ce jeu innocent prennent un sens bien plus tragique sur la réalité d’enfants de 11 ans.
C’est lorsque le scénario dévoile ses ficelles que l’on comprend qu’un monstre suffit pour déteindre sur les autres. Chaque élément de mise en scène éclôt, avec un joli travail sur le son et, surtout, la dernière partition du regretté Ryuichi Sakamoto. Comme toujours chez Kore-Eda, c’est l’humain qui prime, et la grâce se découvre progressivement lorsque les liens narratifs se dénouent. Comment pouvons-nous accompagner les enfants vers une société meilleure, grâce à nos actions en tant qu’adulte ?
La dernière partie de L’Innocence n’essaie plus de poser des questions mais embrasse totalement les émotions de Minato et Yori, composant une nouvelle harmonie. C’est dans la boue et la pluie, alors que les enfants se questionnent sur la mort et jouent dans des tunnels, que le romantisme s’exprime. L’exaltation des garçons prend le dessus sur une société désespérément codifiée, à la poursuite d’un bonheur artificiel. Alors que les adultes peinent à comprendre l’intégralité des faits, les jeunes garçons apparaissent sous un jour nouveau. Minato était toujours dans l’ombre, cachant son visage renfrogné à sa mère, Yori était observé comme un garçon adorable avec son professeur, ils peuvent désormais voler de leurs propres ailes. Par des biais émotifs, le film s’adresse directement aux spectateur.ices adultes, leur rappelant qu’il est important non seulement d’apprendre aux enfants mais aussi d’apprendre d’eux. Ce sont eux, l’avenir.
MANON FRANKEN