LOVE LIES BLEEDING - Rose Glass
Fuck the pain away
Après Saint Maud, Rose Glass revient avec un second long-métrage queer et musclé. Love Lies Bleeding, un thriller romantique qui porte très bien son titre, fait de la force physique un outil de vengeance, de résistance contre les forces patriarcales, et montre l’importance de la violence dans la lutte contre l’oppresseur.
Dans une petite ville du Nouveau-Mexique, Lou (Kristen Stewart), gérante d’une salle de sport, rencontre Jackie (Katy O’Brian), culturiste vagabonde en quête d’un nouveau départ loin de son Oklahoma natal. Les deux femmes tombent amoureuses, jusqu’à ce que Jackie se retrouve mêlée aux sombres affaires familiales de Lou, compromettant son rêve de gagner un concours de bodybuildeuses à Las Vegas pour lequel elle s’entraîne avec acharnement.
Love Lies Bleeding commence comme une comédie romantique des années 1980-1990, version saphique. Après un meet-cute autour d’une injection de stéroïdes, Jackie et Lou vivent une parfaite romance faite d’omelettes de blancs d’œufs et d’entraînements sportifs. L’alchimie entre Stewart et O’Brian est savoureuse et Rose Glass, qui s’identifie elle-même comme queer, parvient à créer entre leurs personnages une intimité éloignée des fantasmes dont les relations lesbiennes font trop souvent l’objet à l’écran.
À mesure que la liaison entre les deux protagonistes s’approfondit, la musculature de Jackie se développe : l’amour la rend littéralement plus forte. La présence de ce personnage féminin baraqué n’est pas anodine. C’est une figure peu courante dans les médias dominants, caricaturée et moquée car éloignée d’un idéal féminin frêle et docile. Rose Glass donne une nouvelle image au fait d’être une femme qui veut des gros muscles. Elle dépeint Jackie comme un personnage déterminé, courageux et moral (bien que faillible), dont l’objectif de prendre de la masse est non seulement pris au sérieux, mais s’avérera aussi utile.
« Je préfère connaître ma propre force », répond-elle à son patron, propriétaire d’un stand de tir, qui s’étonne de son désintérêt pour les armes à feu. L’histoire donnera raison à Jackie, car dans Love Lies Bleeding, les poings protègent et font justice alors que les balles tuent des innocent·es. Lorsque Beth, la sœur de Lou, se fait violenter par son mari une énième fois, les muscles de Jackie se serrent. Lorsque le père de Lou lui inflige de la douleur physique, Jackie décuple de taille. Elle ressent dans son corps ces violences sexistes et incarne par sa transformation physique une colère antipatriarcale, celle qui donne envie de « tout péter », voire de tuer.
Lou et Jackie se font chacune traiter de « monstre » par leurs familles, un mot finement choisi, puisque la figure du monstre dans le cinéma d’horreur est souvent une métaphore de l’homosexualité comme identité marginale et effrayante pour l’ordre hétéronormé. La conception sonore organique, au plus près de la matière humaine en mouvement, des muscles qui se gonflent et des blessures qui suintent, étoffe la substance de cette monstruosité. Mais là n’est pas l’origine de l’horreur, la vraie.
La monstruosité est en fait la seule porte de sortie possible pour les deux femmes, queers qui plus est, captives de leurs destins dans une société régie par les hommes et leur violence. Elles finissent donc par se réapproprier cette violence qui les habitent aussi, qui leur a été imposée : Lou a été attirée vers la criminalité par son père et Jackie perd le contrôle de sa force à cause de ses traumatismes, vraisemblablement d’origine familiale. Alors Jackie tue, Lou cache le corps et incrimine son père. Elles engloutissent le monstre en devenant son pareil.
Love Lies Bleeding porte un message résolument politique de réappropriation des codes et des violences patriarcales par celles qui en sont victimes tout en sortant de la domination par leur sexualité : les femmes queers (pour aller plus loin, lire La Pensée straight de Monique Wittig). La mise en abyme est habile : Rose Glass, une femme queer elle-même, reprend possession des codes des films de genre typiquement masculins et sexistes pour réaliser une œuvre féministe révoltée et sanglante. Love Lies Bleeding pourrait bien nous motiver à retourner à la salle.
NOÉMIE ATTIA