PERSUASION - Carrie Cracknell
La chronique de … Anne Elliot
Pour son tout premier film, la metteuse en scène de théâtre britannique, Carrie Cracknell, choisit d’adapter un monument de la littérature anglaise, la bien nommée Jane Austen. Persuasion, publié à titre posthume en 1817, est un roman plus grave que ses précédents, emprunt de regrets et de souffrances intériorisées. Mais la réalisatrice préfère se concentrer sur l’histoire d’amour dépeinte entre Anne Elliot (Dakota Johnson) et Frederick Wentworth (Cosmo Jarvis), contrariée par une société géorgienne soumise à une hiérarchie sociale bien définie. Fille de baronnet, Anne ne pouvait se lier à un homme sans titre, ni fortune. Elle se laisse alors persuader par sa famille et sa marraine, Lady Russell, de refuser la proposition de Wentworth. Huit ans plus tard, Anne est toujours amoureuse de lui. Ironie du sort, Frederick est maintenant lieutenant dans la Royal Navy, fortuné, et en passe de se hisser au grade d’admiral…
Un petit air de déjà-vu
La série britannique Fleabag, créée par Phoebe Waller-Bridge, a popularisé le fait de briser le quatrième mur. Le personnage de la série a su nous faire pleurer de rire ou de désespoir grâce à ses regards caméra, où naissait une connivence avec le public. Depuis, d’autres œuvres s’y sont cassé les dents car cet effet de style facilite l’empathie, surtout chez un jeune public. Carrie Cracknell y a sûrement vu le moyen d’offrir aux spectateur⋅trices les pensées de Anne, personnage plutôt réservé. Il lui permet également de moderniser le récit, de dépoussiérer le langage et de rendre les enjeux plus proches de nous. Anne, jeune bourgeoise instruite, capable de citer Byron, utilise des mots anachroniques tels que “ex” ou “ten” (pour exprimer la beauté superficielle d’un homme qui la courtise). Produit par Netflix, Persuasion a des airs de la série La Chronique des Bridgerton, produite par cette même plateforme, où le style period drama côtoie les musiques d’Ariana Grande.
Anne a toutes les caractéristiques d’une héroïne de comédie romantique contemporaine. Elle boit du vin dans son bain et se morfond lors de longs monologues où le public est mis dans la position du confident. Si le fait de briser ce quatrième mur amène en premier lieu un léger décalage burlesque dans un récit plutôt uniforme, la mise en scène étouffe cet effet par sa redondance. Surtout quand ce que nous raconte le personnage est déjà exprimé par les images. Sommes-nous si peu perspicaces qu’il faut absolument doubler chaque information apportée par le scénario ? Celui-ci est si concentré sur Anne qu’il en oublie d’apporter de la vie chez les autres personnages. La famille Elliot, pourtant essentielle à la compréhension du mal-être et des choix de Anne, demeure creuse dans le cadre, transformée en triste comic relief.
À force de rendre explicite toutes les pensées du personnage, Persuasion oublie que les images en disent autant (parfois même plus) que les mots. Les anachronismes, le langage, la modernité ne sont pas un problème tant qu’ils servent à la narration. Mais le film de Carrie Cracknell peine à convaincre car il n’envisage jamais sa mise en scène comme le vecteur de son récit.