FESTIVAL PREMIERS PLANS D’ANGERS 2025 : Nos coups de cœur des films de réalisatrices
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Après une semaine d’émergence européenne au festival Premiers Plans d’Angers, le jury présidé par Nicole Garcia a rendu son verdict en récompensant le très beau Vers un pays inconnu du palestino-danois Mahdi Fleifel du Grand Prix du jury, Kneecap de Rich Peppiatt d’une Mention spéciale alors que le public, lui, a préféré La Pampa d’Antoine Chevrollier. Sorociné s’est penché attentivement sur les réalisatrices présentes dans toutes les sélections. Retour sur cinq coups de cœur longs et courts.
September & July (2024) d’Ariane Labed
Déjà présenté à Un certain regard au dernier Festival de Cannes où nous avions rencontré sa réalisatrice pour un entretien, le premier long-métrage d'Ariane Labed, six ans après son excellent court-métrage Olla, ressemble étrangement au jeu de la comédienne révélée dans Attenberg de Athiná-Rachél Tsangári. Entre décalage et inconfort, September & July, l’adaptation du livre Sisters de Daisy Johnson, installe un univers singulier déroutant, celui de deux sœurs qui donnent leurs prénoms au titre, September et July, élevées par leur mère célibataire. Leur relation fusionnelle et déséquilibrée est rythmée par une sorte de jeux de gage à la « Jacques a dit », « September says » poussant la cadette à obéir à son aînée jusqu’à ce que September soit virée de l’école, obligeant la petite famille à s’installer dans la maison des grands-parents au bord de la mer. À travers sa mise en scène et ses métaphores visuelles, la réalisatrice évoque l’adolescence, ses tourments et ses désirs, via un prisme féministe appréciable dans un cinéma extrêmement libre par son regard sur l’« inquiétante étrangeté » des comportements humains.
Los Tortuga (2024) de Belén Funes
Centré autour d’une relation mère-fille et d’un deuil commun géré différemment, Los Tortuga de Belén Funes est un long chemin vers la reconstruction. Quand Delia, la mère, rejette le souvenir de son mari et se mure dans le travail nocturne comme chauffeuse de taxi, Ana honore la mémoire de son père et chérit le temps passé dans la campagne catalane avec ses tantes et cousins, près des champs d’oliviers dont elle a hérité. Belén Funes prend le temps d’installer son esthétique, ses personnages et leurs enjeux par une introduction de près de 40 minutes. Sa caméra scrute avec précision chaque visage de cette famille qui vit encore dans la ruralité et ses traditions et les croyances qu’elle oppose à la vie des exilées à Barcelone. Poignant !
Lou (2024) de Tara Maurel
Film sensoriel et audacieux, Lou de Tara Maurel se place littéralement à hauteur d’enfant, à la place de la petite Lou. Cette petite fille assiste à l’arrivée d’une nouvelle personne dans son paysage, le nouvel amoureux de sa mère, comme un corps étranger. La réalisatrice saisit par des cadres très serrés, parfois subjectifs, au plus près les sensations que peut ressentir Lou face à ce corps masculin, situant l’intrusion dans les détails visuels mais aussi olfactifs, comme l’odeur de la cigarette dans les cheveux de sa mère. Un joli film d’observation séduisant par sa forme.
La Vérité (2023) de Malou Lévêque
Sous le soleil marseillais, Keny suit Dounia, au bord de la mer. Ils se connaissent depuis la maternelle, mais le temps d’un instant, ils vont se découvrir différemment. Et sur cet escalier qui fait face à l’Algérie, séparée par la Méditerranée devant eux (et dont Dounia est originaire), le film se glisse avec subtilité dans un interstice entre féminité et masculinité, vulgarité et poésie, rapprochement et éloignement, verbal et physique… Cet entre-deux, c’est celui des non-dits, d’une impossible communication entre deux êtres maladroits qui aimeraient pourtant savoir se parler. La Vérité le résume d’ailleurs très bien par un mot, mamihlapinatapai, en langue amérindienne yagane signifiant un « regard partagé entre deux personnes : chacune espère que l’autre va prendre l’initiative de quelque chose que les deux désirent mais qu’aucune ne voudrait entreprendre en premier ». La réalisatrice Malou Lévêque a été assistante de Dominique Cabrera sur son film Corniche Kennedy et s’est inspirée des comédiens marseillais du film pour ce court-métrage reparti de Premiers Plans couverts de lauriers mérités : Prix du public, Prix des bibliothécaires, Prix des jeunes internationaux et Prix d’interprétation féminine pour la comédienne Oumnia Hanader.
L’Âge atomique (2012) d’Héléna Klotz
Pour célébrer le prix Jean Vigo qui récompense chaque année un film audacieux et un·e cinéaste en devenir, Premiers Plans proposait un double programme en présentant le culte Zéro de conduite de Jean Vigo (1933), ode à la désobéissance au sein d’un pensionnat de garçons, et L’Âge atomique, le premier long de la réalisatrice de Vénus d’argent (2023), lauréate de ce prix en 2012 avec ce film réalisé dix ans auparavant. Dans cette errance, portée par une sublime bande-originale de son frère Ulysse Klotz, la cinéaste suit deux adolescents, Victor et Rainer, de leur train de banlieue à une boîte parisienne puis dans les rues et la forêt qui les ramènera chez eux. Un portrait intemporel quasi surnaturel d’une jeunesse romantique et de deux jeunes garçons fusionnels amenés à s’interroger sur les sentiments qu’ils se portent. Si quelques aspects misogynes du film semblent dater aujourd’hui, ce premier long d’une heure, filmé à l’appareil photo, affirme une liberté expérimentale et artisanale rare et envoûtante.