SING SING - Greg Kwedar
© Metropolitan Films
Boys do cry
Porté par l’impressionnante performance de Colman Domingo et de ses partenaires non professionnels, Sing Sing dresse un portrait collectif juste et sensible, sans pour autant parvenir à sortir des sentiers battus.
Dans la lumière des projecteurs se détache une silhouette, filmée de dos sur la scène d’un théâtre. En coulisses, on s'affaire après avoir salué un public conquis. Si Sing Sing débute par une mise en abîme assez classique entre cinéma et théâtre, le statut des comédiens est ici un peu particulier. Après ces premières images en immersion sur le plateau, suit une série de plans fixes postés aux différentes étapes du retour des acteurs dans leurs cellules. Entre deux promenades dans la cour entourée de barbelés, les détenus de la prison de haute sécurité de Sing Sing dans l’État de New York endossent les rôles et costumes des héros de tragédies, notamment shakespeariennes. Basé sur l’histoire vraie du fondateur du programme « Réhabilitation par les arts », le film de Greg Kwedar retrace le parcours de John « Divine G » Whitfield, un homme incarcéré pendant dix ans pour un crime qu’il n’a pas commis. Sa devise pour défendre son initiative et convaincre ses camarades : « Pour survivre et pour l’amour du spectacle ». Alors qu’il essaye de recruter un nouveau prisonnier pour la prochaine pièce, il rencontre Clarence « Divine Eye » Maclin, caïd a priori réfractaire, qui laissera peu à peu sa vulnérabilité s’exprimer grâce aux bienfaits du jeu. Malgré une esthétique léchée et une volonté de saisir la complexité des personnages, le film n’échappe pas à certains écueils, notamment en raison d’une mise en scène attendue qui finit par étouffer sa volonté de profondeur. Le film nous touche sans totalement nous émouvoir, nous convainc sans nous emporter.
L’ambition de redonner aux hommes incarcérés leur dignité par le théâtre trouve un écho direct dans la manière qu’a Greg Kwedar de les filmer. Sans misérabilisme ni supériorité, sa caméra s’approche au plus près des corps et des visages, tourne autour d’eux pour en saisir les nuances et les mouvements. Dans un lent zoom, l’image s’avance en passant progressivement du flou au net. Reproduisant le mouvement des yeux qui cherchent à voir après avoir été aveuglés, le film nous invite ainsi à regarder les hommes derrière les détenus. Si l’ambition est louable, le résultat est en demi-teinte : leurs caractéristiques sont énoncées plus qu’incarnées, et les scènes, si elles sont interprétées avec force et justesse, s'enchaînent sans laisser assez de place aux acteurs pour les habiter réellement. La musique, omniprésente, accentue l’impression que le film remplit consciencieusement un cahier des charges pour provoquer l’émotion, mais dans lequel il se retrouve piégé.
L’évolution parallèle des deux hommes, le caïd vers la sagesse, le sage vers le désespoir, n’est pas intéressante, et tombe aussi malheureusement vers le cliché, avant tout en raison de ce manque de caractérisation réelle des personnages. Sing Sing s’intéresse au sujet passionnant de la construction sociale et performative de la masculinité. Sur scène ou au réfectoire, tous les prisonniers jouent leur rôle d’homme, avec plus ou moins d’outils à disposition pour sortir des injonctions et accéder à une forme de vérité. Le metteur en scène les prévient : on devient de vrais acteurs quand on partage et qu’on se montre vulnérables, ce que les hommes n’ont pas l’occasion de faire souvent. Le film aurait gagné lui aussi à se montrer plus vulnérable et moins bon élève pour dépasser ses ambitions et nos attentes.
LOUISE BERTIN
Sing Sing
Réalisé par Greg Kwedar
Avec Colman Domingo, Clarence Maclin, Sean San Jose
États-Unis, 2023
Incarcéré à la prison de Sing Sing pour un crime qu’il n’a pas commis, Divine G se consacre corps et âme à l’atelier théâtre réservé aux détenus. À la surprise générale, l’un des caïds du pénitencier, Divine Eye se présente aux auditions…
En salles le 29 janvier 2025