PURPLE SEA - Amel Alzakout et Khaled Abdulwahed

Bleu comme la mer, rouge comme les corps

Le sort réservé aux migrants venus du Moyen-Orient est un des sujets brûlants d’une triste actualité. Amel Alzakout, une journaliste syrienne, en a fait les frais. Elle a fui son pays par un bateau parti d’Istanbul avec une caméra étanche nouée à son poignet. L’embarcation de fortune a fait naufrage au large de l’île de Lesbos, en Grèce. 42 des 316 passagers y ont trouvé la mort. Amel Alzakout a filmé son expérience, immergée dans l’eau, survivant uniquement grâce à un gilet de sauvetage, en attendant les secours. Elle en a tiré un film relativement court (67 minutes) pendant lequel les images, brutes, s’affichent sur fond de voix off qui narre sa vie, ses pensées, sa fuite de la Syrie.

Purple Sea est un documentaire que l’on pourrait presque qualifier d’expérimental tant il ne correspond à aucune norme de son art. Il n’y a guère de scénario, aucun fil conducteur, seulement une caméra presque involontaire, des images desquelles on ne se soucie peu de la forme tant ce qu’elles enregistrent est difficilement soutenable. Ce n’est pas un témoignage journalistique mais une création extrêmement personnelle, qui associe un fait réel au regard d’une seule personne, représentée par la voix mélancolique de la réalisatrice. Amel Alzakout n’essaie jamais de faire de son récit quelque chose d’informatif, au contraire. Pourtant, son enregistrement demeure extrêmement précieux : les films qui exposent une telle réalité sont rares.

Ni la réalisatrice ni ses compagnons d’infortune n’ont de visage sur les images. Ce ne sont que des corps flottants, en détresse, soumis à l’étendue d’eau salée dans laquelle la caméra est plongée. Elle sort parfois à la surface, d’un geste presque involontaire, capturant des cris et, enfin, un avion. Purple Sea est l’histoire d’une opposition entre la mort, incontrôlable, qui guette, et un esprit qui subsiste dans la panique, l’horreur. La voix d’Amel Alzakout est presque trop calme face à ce qui est montré, comme si elle était déterminée à trouver la mort, comme si elle ne faisait de ses images qu’un dernier témoignage.

Pourtant, cette même voix est le témoin de la réussite de son sauvetage, de la survie de son individualité. Purple Sea, par son caractère naturellement anxiogène (les aquaphobiques ne s’en remettront pas de sitôt), amène à questionner le spectateur sur son propre rôle. L’impuissance à laquelle les corps, les jambes vêtues de jeans et les mains paniquées des naufragés fait écho à l’expérience du visionnage, qui joint la passivité et l’émotion. Enfin, le film joue allègrement de sa temporalité. Les images se ressemblent, il n’y a aucune évolution, que ce soit dans le récit d’Alzakout que dans la situation dans laquelle elle est plongée. Il en résulte une création née uniquement par la force des choses, incontrôlable, à la fois interminable par sa dureté et révélatrice de la brièveté d’un tel moment dans une vie.

Purple Sea est un poème tragique et une parenthèse engagée malgré elle. C’est une œuvre d’une grande singularité, rare, avec un point de vue aussi déroutant que dérangeant. Un must-see parmi les nouvelles arrivées sur MUBI.



Réalisé par Amel Alzakout et Khaled Abdulwahed

Comme l’accès à l’Europe lui était bloqué, l’artiste syrienne Amel Alzakout décida de traverser la Méditerranée avec des passeurs. Cependant, juste avant d’atteindre la côte de Lesbos, le bateau surpeuplé a sombré. Armée d’une caméra étanche, Amel a filmé les événements.

Disponible sur MUBI le 25 août 2021

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