THE QUIET GIRL - Colm Bairéad

Copyright ASC Distribution

Silence comme métronome des émotions 

Colm Bairéad signe un premier film plein de tendresse sur une petite fille qui n’a jamais reçu d’affection de sa famille.

Peu nombreux sont les gens dont l’enfance n’a pas été marquée par le grand sourire de Heidi, prenant vie sous le pinceau d’Isao Takahata, qui ne quitte jamais son visage lorsqu’elle descend joyeusement les collines alpines. Récit éponyme créé par Joanna Spyri à la tradition du Bildungsroman, Heidi raconte l’histoire de l’épanouissement d’une fillette dans le monde rural. Et ce n’est pas par hasard si le cinéaste de The Quiet Girl le met entre les mains de son personnage principal. Mais Cáit, dont les émotions dépassent la force des mots, est « une fille silencieuse », autant que Heidi est turbulente et joyeuse. 

Adapté du roman court Foster, écrit par Claire Keegan, The Quiet Girl de Colm Bairéad dessine un portrait poignant de Cáit, une petite fille de 9 ans troublée socialement et émotionnellement par l’environnement toxique dans sa famille, et qui est envoyée passer les vacances de l’été chez la cousine distante de sa mère dans les années 1980. Cáit est confiée aux mains bienveillantes d’Eibhlin Kinsella (Carrie Crowley) et de Seán, son mari quelque peu morose (Andrew Bennett), et elle trouve l’attention et l’amour qu’on ne lui avait jamais donnés, ignorant qu’elle devient progressivement l’objet d’un amour paternel et maternel que le couple a enterré dans leur passé.  

Nommé cette année pour l’Oscar du meilleur film international, le premier long-métrage du cinéaste irlandais repose autant sur les propriétés plastiques de la mise en scène que l’expressivité non-verbale de ses personnages. En intégrant les états d’âme de Cáit à la construction de l’espace filmique, The Quiet Girl réussit à faire évoluer son personnage dans des paysages émotionnels élaborés : la maison de famille, avec ses couloirs sombres et chambres étouffantes dans lesquels Cáit se sent coincée et isolée s’oppose à la maison des Kinsella où la lumière douce de la campagne et les intérieurs douillet l’embrassent et la font sentir en sécurité. En effet, Cáit fait partie de ces enfants mélancoliques dont le visage reflète le sentiment que tous les malheurs autour d'eux sont causés par eux-mêmes et qu’ils sont importuns. « Il n’y pas de secret dans cette maison », entend-on Eibhlin lui dire pour l’assurer de la sincérité et de l’amour qu’ils éprouvent. Or, pour le couple Kinsella, ces espaces lumineux, sont marqués par des souvenirs amers que Cáit vient éveiller. Vêtue de vestiges d’une famille heureuse, elle leur représente un futur non réalisé, une vie que le couple n’aurait jamais vécue. Mais Cáit n'est à aucun moment traitée comme un substitut : au contraire, c'est grâce à leur affection et leur patience qu'elle commence à se sentir comme un individu qui a le droit d'être aimé. 

The Quiet Girl est un film dont il est parfois difficile d'exprimer la force émotionnelle par des mots, notamment parce que son histoire relève du domaine de l'intime et que chaque spectateur-trice est susceptible de se projeter dans des détails ou dans des gestes différents (une qualité que l'on peut observer récemment dans des films tels que Petite maman ou Aftersun, où le personnage principal est également une petite fille). Mais aussi parce que le langage expressif du film repose sur les gestes, les regards et les non-dits ; le silence étant comme un métronome qui rythme les émotions. Les mains d’Eibhlin qui caressent et brossent tendrement les cheveux de Cáit, un petit biscuit que Seán lui offre furtivement ou une dernière étreinte volée avant le départ de Cáit : tous ces moments infimes sont d’une force affective tellement palpable que, en les regardant, certain-e-s se sentiront frappés par la familiarité qu’iels y retrouvent. Mais pour d’autres, les images resteront peut-être muettes, incompréhensibles, tout comme le silence de Cäit, qui attend des oreilles attentives et affectueuses pour pouvoir parler.

The Quiet Girl

Réalisé par Colm Bairéad

Ecrit par Colm Bairéad et Claire Keegan

Avec Catherine Clinch, Carrie Crowley, Andrew Bennett

Irlande

Irlande, 1981, Cáit, une jeune fille effacée et négligée par sa famille, est envoyée vivre auprès de parents éloignés pendant l’été. Mais dans cette maison en apparence sans secret, où elle trouve l’épanouissement et l'affection, Cáit découvre une vérité douloureuse.

En salles le 12 avril 2023

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